A Mayotte, "la communauté médicale craint une catastrophe sanitaire"
Sur l’île française de Mayotte, le personnel soignant dénonce un blocage de l’accès aux soins et un manque criant d’effectifs.
"La situation sociale actuelle paralyse nos activités", alerte dans un communiqué l’Ordre des médecins, conjointement avec le conseil départemental de Mayotte. Depuis près d’un mois, un immense mouvement de protestation contre l'insécurité bloque l’île et empêche ses habitants d’accéder au centre hospitalier et aux services de soin privés. De même, "le personnel médical et paramédical ne peut plus rejoindre son lieu de travail, laissant les patients en grande difficulté", selon le communiqué.
"Tous les services du centre hospitalier sont en sous-effectif"
"Aujourd’hui, le mouvement de blocage s’est amplement durci. C’est une catastrophe" estime Jennifer Bouarroudj, conseillère régionale de l’Ordre des infirmiers de l’Océan indien. "Jusqu’à présent, le personnel soignant avait un accord avec les syndicats qui bloquaient les routes. On leur montrait notre caducée et on pouvait passer. Mais aujourd’hui, ce n’est même plus possible", déplore-t-elle. Le Dr Sophie Olivier, présidente de la communauté médicale de l’établissement et signataire du communiqué, acquiesce : "Je suis venue au travail en bateau. Tous les services du centre hospitalier sont en sous-effectif."
Un constat que partage Géraldine, infirmière à Mayotte, sur la page Facebook Les infirmières en colère : "En temps normal, ici nous soignons la population sans distinction en quasi état d'urgence permanent. Nous fonctionnons tout le temps au-delà de nos possibilités techniques et humaines. Mais aujourd'hui, avec cette grève générale, c'est pire encore." "On est pris à la gorge", alerte Jennifer Bouarroudj. "Le bloc opératoire ne tourne pas comme il faut, et il n’y a plus d’opérations programmées", ajoute le Dr Olivier.
Des hôpitaux et des pharmacies non approvisionnées
De fait, l’approvisionnement des services hospitaliers "en médicaments, matériel médical, linge et nourriture" n’est plus assuré, indique le communiqué de la communauté médicale du centre hospitalier. "Plus ça va, plus la tension monte. Si la ministre [Annick Girardin, ministre des Outre-mer, en visite à Mayotte lundi 12 mars, ndlr] ne va pas dans le sens des revendications, la situation ne s’améliorera pas", prévient Mme Bouarroudj. La communauté médicale renchérit : "Sans mesures immédiates, [on] craint une catastrophe sanitaire au niveau du département."
"Les patients ne peuvent plus rejoindre les centres de soin. Il n’y a pas non plus de solution de substitution, puisqu’ils ne peuvent pas aller voir de médecins libéraux. Ils ne peuvent plus renouveler leur traitement, et les pharmacies sont fermées", déplore le Dr Olivier. Celle-ci craint pour l’approvisionnement futur des pharmacies, et rappelle que l’île connaît actuellement une épidémie de bronchiolite, "qui touche beaucoup les enfants en bas-âge". Autre victime de cette situation de crise : la maternité. "Mayotte est la plus grande maternité d’Europe, avec 10 000 naissances par an. Certaines femmes viennent des Comores pour y accoucher", explique Jennifer Bouarroudj. A l’heure actuelle, la maternité Sud a dû fermer.
La plus grave crise depuis 2011
Mayotte est devenu le 101ème département français en 2011. L’île est notamment connue pour son insécurité. Comme le rappelle Géraldine, "à Mayotte on peut encore se baigner […] sans craindre de se faire bouffer par les requins. Mais on ne peut plus sortir du boulot […] sans crainte d'être attaquée par une bande de jeunes à la recherche de tout et n'importe quoi". Depuis plus de trois semaines, les Mahorais protestent contre cette situation de danger permanent, et certains bloquent les ports et les routes.
Le centre hospitalier, déjà saturé – notamment à cause d’un boom démographique (la population a été multipliée par 11 en 60 ans selon La 1ère) – ne peut plus suivre. Le personnel s’est déjà mis en grève plusieurs fois, sans obtenir de résultats. Mayotte avait déjà connu un mouvement de protestation d’une ampleur similaire en 2011, qui avait duré près de quatre mois, cette fois-ci contre la vie chère. Le conflit s’était enlisé, et la population avait dénoncé de graves violences policières.