Le lobby du Conseil national de l'Ordre des médecins
Le Conseil national de l'Ordre des médecins est un organisme dont tout le monde a déjà entendu le nom, mais on ne sait pas toujours quelle est sa fonction. Incontournable, cet organisme agirait comme un lobby. Qui adhère au Conseil de l'Ordre ? Qui représente-t-il ? Comment agit-il ? Les explications avec Rudy Bancquart.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins est une exception. Il n'existe pas de tel organisme dans aucun autre corps de métier. Il existe d'autres ordres comme chez les avocats, mais ils n'ont pas autant de pouvoir.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins est un organisme privé qui a une mission de service public. Il doit faire "vivre la déontologie" et notamment "conseiller les pouvoirs publics" "au nom de la défense de la profession". "Il fait aussi entendre sa voix dans tous les grands débats de santé nationaux et internationaux, qu'ils portent sur l'éthique ou les évolutions de l'exercice médical". On peut donc clairement dire qu'il s'agit d'un lobby.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins est composé de 50 membres élus pour six ans. Son président est aujourd'hui est le Dr Bouet. Il succède au Dr Legmann proche de Nicolas Sarkozy, il était élu à Neuilly. On dit que le Dr Bouet est plutôt un homme de gauche, une première à la tête du Conseil de l'Ordre.
Qui adhère au Conseil de l'Ordre ? Qui représente-t-il ?
Il représente tous les médecins. Pour qu'un médecin puisse exercer, il doit être diplômé, mais aussi être inscrit au tableau de l'Ordre. Sinon cela s'apparente à un exercice illégal de la médecine (deux ans de prison et 30.000 euros). Etre inscrit signifie aussi payer une cotisation. En France, 270.000 médecins ont l'obligation de payer 300 euros de cotisation sauf les 45.000 retraités qui paient 150 euros. Au total, l'Ordre dispose donc d'une cagnotte annuelle de 75 millions pour faire entendre sa voix.
Comment agit le Conseil national de l'Ordre des médecins ?
Comme tous les lobbies, le Conseil national de l'Ordre des médecins est assez discret et agit en coulisses. Il a la chance d'avoir accès directement aux ministres de la Santé. C'est un lobby institutionnalisé. Et il a pour lui le soutien d'une grande majorité de médecins dont il a toujours défendu les intérêts de façon quasi corporatiste.
Les gouvernements savent que c'est une profession qu'il vaut mieux avoir avec soi que contre soi car les médecins sont des relais d'opinion puissants, le fameux effet blouse blanche. Enfin le Conseil de l'Ordre peut aussi compter sur les parlementaires médecins. Cette profession a toujours été bien représentée à l'Assemblée et au Sénat.
Un organisme très influent
Il n'y a aucune loi de santé prise sans que le Conseil national de l'Ordre des médecins ne soit consulté. Si on devait faire un flash-back, on ne peut pas dire qu'il s'est illustré par son caractère progressiste. Pour preuve, la bataille contre l'ouverture des plannings familiaux, contre la pilule ou encore contre l'IVG où il a été particulièrement actif.
En 1981, le Conseil de l'Ordre a bien failli disparaître. "Supprimer le Conseil de l'Ordre" était en effet la 85e proposition de François Mitterrand, une idée qu'il évoquait déjà en 1978. François Mitterrand parlait d'un organisme anti-démocratique. Mais il ne tiendra pas sa promesse de dissolution, les pressions étaient trop fortes.
Dans les années 2000, il y a eu un petit dépoussiérage. Les représentants locaux ont acquis plus de pouvoir. Les patients peuvent déposer des plaintes plus facilement contre les médecins s'il y a contentieux. En 2013, il en a reçu 5.755. En 2001, il a fait paraître son premier rapport d'activité. Il devient donc un peu moins opaque. Mais globalement on ne peut pas dire qu'il encourage le changement. D'ailleurs Marisol Touraine en a fait les frais.
Loi santé : les pressions du Conseil de l'Ordre
Marisol Touraine a dû composer avec le Conseil de l'Ordre pour la loi de santé votée en avril 2015. La ministre de la Santé a dû céder à ses pressions, comme le prouve un document envoyé à tous les médecins : "L'Ordre vient d'obtenir après trois mois d'action, que la ministre de la Santé revienne sur son projet de loi, le réécrive et en diffère l'analyse parlementaire à avril 2015". Des associations de médecins, certains syndicats ou encore certaines associations de patients militent pour la dissolution de l'Ordre.
Aujourd'hui le Conseil de l'Ordre continue son travail de lobbying, il reste très présent sur certains sujets. En coulisse, il refuse toute augmentation du numerus clausus et défend bec et ongles la liberté d'installation alors qu'on ne cesse de parler des déserts médicaux. Il milite contre l'euthanasie, et a des positions discutables sur les dépassements d'honoraires. Il reste globalement conservateur alors que notre système de santé est en train de bouger.