Report de la PMA pour toutes : "On prend les femmes pour une variable d’ajustement"
Le projet de loi d’extension de la PMA à toutes les femmes vient d’être reporté. Pour l’avocate en droit des familles Me Caroline Mecary, ce nouveau délai n’est qu’un calcul politique pour lequel les principales concernées payent le prix fort.
La PMA pour toutes, ce n’est pas pour tout de suite. Marc Fesneau, le ministre en charge des Relations avec le Parlement, a fixé lundi 4 mars 2019 "un horizon de douze mois" pour une adoption définitive par le Parlement de l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules.
Concrètement, cela signifie que le projet de loi de bioéthique qui inclut l’extension de la PMA ne bénéficiera pas d’une procédure accélérée devant l’Assemblée et le Sénat, pratique pourtant habituelle pour les sujets sociétaux. Le ministre Marc Fesneau a cependant assuré à l’AFP que "l’engagement sera tenu sur la PMA", faisant ainsi référence à la promesse de campagne du Président Macron d’ouvrir la PMA à toutes les femmes.
A lire aussi : PMA pour toutes : les coulisses d'une loi
Encore un report malgré les avis favorables
"Personnellement, je commence à perdre confiance" nous confie Maître Caroline Mecary, avocate aux barreaux de Paris et du Québec, spécialisée notamment en droit des familles et des discriminations. "Les premières revendications d’ouverture de la PMA datent du milieu des années 2000 mais l’examen du projet n’a eu de cesse d’être repoussé. Le premier avis favorable du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) date de juin 2017, il a été répété en septembre 2018, établissant donc par deux fois qu’il n’y avait aucun obstacle éthique à étendre la PMA à toutes les femmes" retrace l'avocate.
Au même moment, le conseil d’Etat estimait qu’il n’y avait pas non plus d’obstacle juridique. En 2015, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a publié un avis favorable au nom de l’égalité des droits entre tous et toutes et avant lui le Défenseur des droits avait adopté la même position. En janvier 2019, un rapport parlementaire préconise aussi l’ouverture de la PMA à tous les couples avec le même remboursement que pour les couples hétérosexuels. Et malgré ces avis successifs, rien ne bouge."
"Nous avons affaire à un gouvernement de pleutres"
Initialement prévu à l’ordre du jour du Parlement avant fin 2018, le vote de l’ouverture de la PMA avait été repoussé en raison, selon l'exécutif, de "l'encombrement du calendrier parlementaire". Aujourd’hui, c’est la nécessité de traduire dans la loi des mesures issues du "grand débat national" qui expliquerait le nouveau report. Maître Caroline Mecary a une toute autre explication : "à la veille des élections Européennes, le gouvernement déjà secoué par les gilets jaunes n’a tout simplement pas envie de voir une nouvelle 'Manif'pour tous' descendre dans la rue. Mais ils se trompent sur cette question : l’accès à la PMA mobilise moins que le mariage pour tous et en Europe, déjà 14 pays autorisent la PMA aux couples de femmes et 26 aux femmes célibataires."
C'est justement pour cette raison que "la majorité devrait s'aligner avec l’Europe et se lancer dans l’extension de la PMA pour montrer que si on est européen, on franchit le pas" analyse l'avocate. "Malheureusement nous avons affaire à un gouvernement de pleutres qui prend les femmes et les lesbiennes pour une variable d’ajustement politique dans leurs calculs électoraux. C’est inacceptable." s'offense-t-elle.
Discrimination par l'argent
Résultat ? Les femmes seules ou les couples de femmes en désir d’enfant n’ont d’autre solution que d’emprunter des sentiers détournés. "Les femmes qui n’ont pas le droit à la PMA sont contraintes d’aller à l’étranger, souvent en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou même en Croatie" s'indigne Me Mecary. Mais dans ce cas, les frais médicaux liés à la PMA sont à leur charge. Un coût auquel s’ajoute celui des voyages, des solutions d’hébergement sur place et des éventuels congés nécessaires pour chaque déplacement. Et pour celles qui n’ont pas les moyens de se tourner vers la PMA à l’étranger ? Les solutions restantes sont alors illégales et hasardeuses : elles consistent notamment à s'arranger avec un proche volontaire ou "à se à se rendre sur un site internet de coparentalité pour trouver un donneur de sperme, avec le risque que celui-ci veuille finalement reconnaître l’enfant" déplore l’avocate.
En somme, "ce sont encore les femmes qui payent ces calculs politicards"dénonce-t-elle. Une situation qui renforce la discrimination par l’argent et "qui n’est pas sans rappeler le clivage social déjà observé pour l’IVG avant son inscription dans la loi" remarque enfin Me Mecary.