Projet de loi de bioéthique : l'avis d'un spécialiste de la reproduction
PMA, don de gamètes, diagnostic pré-implantatoire... Le professeur Mickaël Grynberg, spécialiste de la médecine de la reproduction, nous éclaire sur les enjeux soulevés par le projet de loi de bioéthique.
Le Sénat a adopté en première lecture le 22 janvier l’article du projet de loi de bioéthique prévoyant d’ouvrir à toutes les femmes l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA). Mais les sénateurs ont choisi de limiter le remboursement de le PMA aux demandes fondées sur un problème médical comme une infertilité pathologique.
L'examen du projet de loi doit se poursuivre sur deux semaines et trancher sur d’autres questions comme la congélation des gamètes ou le diagnostic préimplantatoire, avant un vote sur l'ensemble du texte le 4 février. Une deuxième lecture sera ensuite organisée à l'Assemblée nationale et au Sénat, les députés ayant au final le dernier mot.
Entre les deux chambres et au sein même de ces parlements, les questions soulevées par le vote de nombreux articles divisent. Pour mieux comprendre les enjeux de ce vote, le Magazine de la Santé a reçu le professeur Michaël Grynberg, chef du service de médecine de la reproduction à l'hôpital Antoine Béclère à Clamart.
La restriction du remboursement au critère médical constitue-t-elle un moyen détourné de limiter l’accès à la PMA pour toutes ?
Pr Mickaël Grynberg : "Malheureusement, oui, c’est un moyen détourné puisqu’on prend en charge des couples hétérosexuels infertiles pour lesquels nous n’avons pas la cause de l’infertilité. On les prend en charge en assistance médicale à la procréation (AMP) parce qu’ils n’ont pas réussi à concevoir pendant un an, même si on n’a pas retrouvé d’origine à leur infertilité.
D’ailleurs, bon nombre de ces couples vont avoir éventuellement une grossesse via AMP et auront un deuxième enfant tout à fait naturellement. On peut donc considérer qu’ils n’étaient pas infertiles. Donc ce critère absolu d’avoir une infertilité est particulièrement compliqué à mettre en évidence."
Faudrait-il rémunérer le don de gamètes afin d'éviter un risque de pénurie ?
Pr Mickaël Grynberg : "A mon avis, d’un point de vue personnel, je pense que oui. Il faut trouver tous les moyens possibles et imaginables pour cesser cette pénurie qui existe déjà actuellement pour les couples hétérosexuels en demande. Car quand on va rajouter dans la file d’attente des femmes en couple et des femmes célibataires, bien entendu il va y avoir une attente phénoménale.
Il faut donc trouver des solutions. La rétribution en est une, une campagne bien plus importante pour essayer de sensibiliser les Français et les Françaises à donner leurs gamètes en est une autre. Il faut passer par de l’éducation et par des décisions politiques pour essayer de faire en sorte qu’on ait plus de donneurs."
Êtes-vous d’accord avec l'amendement qui autorise le remboursement de l'autoconservation de gamètes pour pallier une possible infertilité future?
Pr Mickaël Grynberg : "Globalement, cela ne me choque pas forcément que ce ne soit pas remboursé de manière totale. J’étais plutôt partisan de rembourser éventuellement la préservation mais dans ce cas de rembourser moins de FIV (actuellement quatre FIV remboursées, ndlr) derrière si jamais cela ne marchait pas avec les ovocytes congelés.
Donc le tout remboursement n’est sûrement pas la solution surtout qu’il va y avoir une demande importante. Si on veut essayer de rembourser pour toute le monde, vu le nombre de patientes qui se posent la question et se projettent dans une future infertilité, je pense qu’on ne pourrait pas assumer les coûts attenants à ces stimulations répétées. Il faudra le faire deux ou trois fois par femme pour avoir un stock d’ovules suffisant pour donner des vraies chances.
Si le non remboursement ne me choque pas, il est vrai que cela va discriminer les gens qui n’auront pas les moyens de le faire. Il faut donc peut-être ne pas facturer ces procédés de la même manière qu’ils sont facturés quand les femmes vont à l’étranger soit 3 ou 4.000 euros par cycle de stimulation. On arrive vite à 15.000 euros pour deux ou trois cycles, pour quelque chose qui n’est pas garanti au final."
Le recours au diagnostic préimplantatoire (DPI) est aussi discuté. Certains disent que c’est de l’eugénisme, quel est votre point de vue ?
Pr Mickaël Grynberg : "Il faut bien spécifier que le DPI (analyse génétique de l’embryon avant de l’implanter dans l’utérus pour dépister des maladies graves et ne pas l’implanter s'il existe une anomalie) existe déjà pour éviter la transmission de maladies d’une gravité extrême.
L’amendement discuté est celui de diagnostiquer des anomalies de nombre sur les chromosomes qui sont extrêmement fréquentes puisque 60 à 80% des embryons sont génétiquement anormaux (trisomie 13, 18, 21…) et que cela va concourir à des replacements d’embryons « pour rien » : soit parce qu’ils ne s’accrocheront pas, soit éventuellement parce qu’ils donneront des fausses couches.
Le DPI pour rechercher des anomalies de nombre sur les chromosomes de l’embryon n’est pas de l’eugénisme. Il s’agit juste d’éviter de faire des replacements pour rien. En France aujourd’hui on replace tout, et c’est très lourd pour les couples, très compliqué à gérer en cas d’échec.
Si on savait qu’on allait replacer des embryons qui ne marcheraient pas à tous les coups mais pour lesquels on éviterait avec une forte probabilité des échecs ou des fausses couches, je ne vois pas pourquoi on interdirait cela. C’est juste une suite logique à tout ce qu’on fait, un progrès sans être de l’eugénisme. On ne va pas choisir un embryon pour avoir des yeux bleus, des yeux verts, un garçon ou une fille. Ce n’est pas le but."