La future loi de bioéthique est-elle déjà dépassée par les avancées de la science ?
Autorisées dans certains pays mais retoquées en France, certaines techniques médicales, balayées par la loi de bioéthique, mériteraient plus d’ouverture, selon le généticien Pascal Pujol.
Analyse des anomalies chromosomiques avant une FIV, diagnostic-pré implantatoire, tests génétiques chez l'adulte... Certaines techniques médicales utilisées dans d'autres pays se sont vues fermer la porte de l'Assemblée nationale. Elles ne seront donc pas débattues pendant l'examen de la loi de bioéthique qui se tient actuellement. Des décisions qui font craindre à certains députés et chercheurs que la France "rate le coche d'avancées médicales" importantes.
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Améliorer le taux de succès des FIV
Parmi ces techniques retoquées : celle de l’analyse des anomalies chromosomiques sur un embryon avant son implantation. "Aujourd’hui, en France, on compte environ 140.000 fécondations in vitro (FIV) mais seulement 25.000 vont aboutir à une naissance" rappelle le professeur Pascal Pujol, généticien. Car "quatre fois sur cinq environ, l’embryon sélectionné se décroche, le plus souvent pour des raisons d’anomalies génétiques justement" explique le spécialiste.
Identifier ces anomalies et sélectionner un embryon viable, comme c’est déjà le cas aux États-Unis par exemple, permettrait d’ "améliorer le taux de succès des FIV".
Interrogé par l’AFP, le spécialiste de la reproduction René Frydman abonde dans ce sens : "les résultats de la fécondation in vitro ne sont pas véritablement à la hauteur de nos espoirs". Mais pour la ministre de la Recherche Frédérique Vidal, il est trop tôt pour généraliser ce type de technique, qui ferait franchir le pas d'un tri des embryons. "Cela se fait dans le cadre de programmes de recherche, qui interrogent l'impact (des anomalies chromosomiques) sur les questions de fertilité", a-t-elle expliqué.
"La pente eugénique est dans l’autre sens"
Parmi ces recherche d’anomalies génétiques chez l’embryon, une technique est tout de même réalisée en France dans certains cas : le diagnostic génétique dit pré-implantatoire (DPI).
Actuellement, ce DPI est réservé aux couples qui ont déjà un enfant gravement malade ou décédé en raison d’une maladie génétique comme la mucoviscidose, l’amyotrophie spinale ou encore un cancer lié à un facteur génétique. Ce diagnostic permet de sélectionner spécifiquement des embryons non porteurs de cette mutation – et seulement celle-là – pour éviter la naissance d’un deuxième enfant malade.
Mais pour le professeur Pujol, cette autorisation devrait être étendue. "Pourquoi des couples sains peuvent choisir de dépister la trisomie 21 lors de la grossesse mais pas des maladies 'plus graves' comme la mucoviscidose ou l’amyotrophie spinale" s’interroge-t-il, alors même que "la société de génétique et le conseil d’éthique y sont favorables".
Principal argument d’opposition : celui de la crainte d’une dérive eugénique. "Certes, il faut redouter l’eugénisme" répond le professeur Pujol. "Mais ce n’est pas du tout le cas ici : il s’agit de diagnostiquer avant l’implantation des maladies plus graves que la trisomie 21 aujourd’hui diagnostiquée après l’implantation ! La pente eugénique est donc dans l’autre sens" soutient le généticien.
En pratique, cela reviendrait en effet à annoncer un risque aux parents avant l’implantation de l’embryon et n’impliquerait donc pas d’interruption médicale de grossesse. "Dans le cas de l’amyotrophie spinale, qui ne présente le plus souvent aucun antécédent familial, le DPI permettrait d’éviter de donner naissance à un enfant qui a 50% de risque de mourir avant l’âge de 24 mois" argumente le professeur Pujol.
Si le projet de loi ne prévoit pas pour le moment d’autoriser ce type de DPI, Frédérique Vidal a laissé entrevoir une ouverture sur ce point, expliquant que "la réponse sera issue du débat au Parlement". D’autres pays comme la Belgique, les Pays-Bas, Israël ou les États-Unis ont déjà autorisé cette pratique.
100.000 Français ont réalisé des tests génétiques illégaux
Autre point qui fait débat et qui ne concerne plus les embryons de FIV mais tous les adultes : celui des tests génétiques qui permettent d’établir des liens biologiques. A l’heure actuelle, ces tests, pratiqués notamment pour connaître ses origines ethniques, sont strictement interdits en France, hors injonction judiciaire. Pourtant, "100.000 Français ont déjà fait ces tests en passant par internet" note Pascal Pujol.
Seuls les tests destinés à établir des prédispositions à certaines maladies sont légaux mais extrêmement encadrés. Ainsi, la recherche du gène BRCA, qui touche une femme sur 200 et entraîne une probabilité très élevée de développer un cancer du sein ou de l'ovaire, est réservée aux femmes ayant des antécédents familiaux précis. Faut-il continuer à interdire ces tests aux autres personnes désireuses de "savoir" si elles présentent un risque accru de maladie ?
"On est dans un monde où on peut se faire séquencer son génome entier (...) sur internet" alors que "c'est strictement interdit par la loi", observait Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), lors des auditions sur le projet de loi à l'Assemblée. Déplorant cette intransigeance "à la française", avec une interdiction que l'on est "incapable de faire respecter" puisqu’accessible à tous via internet, Jean-François Delfraissy rappelle que le CCNE avait préconisé dans son rapport il y a un an "une possibilité d'ouverture (...) dans un contexte médicalisé et de conseil génétique."
"Ouvrir l’accès à ces tests peut être dangereux"
Mais "médicalement, nous n’avons pas de preuve que ces tests servent vraiment", tempère le professeur Pujol. "Je pense même qu’ouvrir l’accès à ces tests peut être dangereux d'abord parce qu’ils sont de très mauvaise qualité ensuite parce qu'ils détectent des risques pour des maladies comme Parkinson contre lesquelles nous n’avons actuellement aucun moyen de prévention" s’inquiète le spécialiste. Il rappelle enfin l’importance de "fournir des informations médicales en amont du test" mais aussi "un accompagnement en aval".
En somme, selon le généticien, "les personnes veulent avoir un maximum d’informations pour agir sur leur santé et on aura du mal à juguler la demande et l’offre commerciale. Mais nous ne sommes peut-être pas encore mûrs sociétalement pour franchir le pas".
Mais en attendant une législation française, un autre risque à prendre en compte est celui du stockage à l’étranger de données aussi sensibles, explique à l’AFP Arthur Kermalvezen, premier Français né d'une PMA avec don à avoir retrouvé son géniteur grâce à des tests génétiques faits sur un site américain. "Notre génome va à l'étranger", déplore le créateur de l'association Origines, qualifiant l'attitude des autorités de "puritaine" alors qu'il s'agit "d'informations capitales", notamment pour la recherche.
Vers une "délégation permanente" pour les sujets bioéthiques ?
Face à ces sujets médicaux en constante évolution, les dispositifs légaux à notre disposition semblent bien archaïques. Les textes prévoient en effet que la loi de bioéthique soit révisée tous les sept ans. Un délai déjà dépassé par le projet de loi actuel puisqu'avec un vote définitif espéré "avant l'été prochain", cela fera neuf ans depuis la version précédente.
Dans un domaine où les connaissances évoluent très vite, certains pointent donc le risque d'une loi déjà "périmée" lorsqu'elle sera promulguée et déplorent qu'il faille attendre plusieurs années pour légiférer lorsqu'une innovation apparaît. C’est pourquoi le CCNE préconisait de raccourcir ce délai à cinq ans.
Jean-Louis Touraine (LREM), co-rapporteur du projet de loi, propose aussi de "créer une délégation permanente" à l'Assemblée pour signaler les "nécessités nouvelles" sur les sujets bioéthiques.
Une idée partagée par le professeur Pujol : "la fréquence de révision de la loi de bioéthique est beaucoup, beaucoup, trop longue." Selon lui, "l’accélération des connaissances médicales et l’évolution de la société nécessiteraient de réduire le délai entre deux révisions et de mettre en place un dispositif de décisions au fil de l’eau". Seul avantage à ce rythme lent : "le temps permet trois choses : la validation du bien fondé médical des avancées, une maturation mentale et une réflexion éthique". Il s’agirait maintenant de réussir à trouver un juste milieu.