Sexualité, infertilité et PMA, des liens étroits
Lorsqu'un désir d'enfant survient et qu'il tarde à se réaliser, le couple découvre que sexualité et fertilité ne riment pas forcément. Si certains troubles sexuels expliquent l'absence de conception, l'infertilité et de ses traitements ont souvent un impact important sur la sexualité. Comment préserver la vie de couple durant cette épreuve ?
- Les troubles sexuels expliquant l'infertilité
- Les troubles sexuels masculins
- Les troubles sexuels féminins
- L'infertilité et ses traitements, un retentissement direct sur la sexualité
- Des traitements à l'origine de complications sexuelles
- Conseils pratiques pour augmenter les chances de grossesse
- Qui consulter : un sexologue ou un spécialiste de l'infertilité ?
- Conserver une vie de couple en dépit des traitements
- En savoir plus
Les troubles sexuels expliquant l'infertilité
Depuis la légalisation de la pilule en 1967, la sexualité procréative a cédé la place à une sexualité de plaisir. Lorsqu'un désir d'enfant survient, les rapports sexuels retrouvent leur but originel et deviennent souvent source de stress intense quand ils n'aboutissent pas à une grossesse. Plusieurs relations lient la sexualité et l'infertilité : d'un côté, un trouble sexuel peut expliquer l'absence de conception ; de l'autre, l'annonce d'une infertilité aura des conséquences directes sur la vie sexuelle du couple et les traitements de l'assistance médicale à la procréation (ou procréation médicalement assistée, PMA) sont eux-mêmes à l'origine de complications sexuelles.
Les couples consultent habituellement au bout de quelques mois d'essais sans succès. Selon une étude de Kerneis [1], 2,8% des couples consultant pour une AMP se heurtent à un trouble sexuel.
"C'est vraisemblablement sous-estimé, évalue le Dr Salama, sexologue. Aujourd'hui 10% d'infertilité en France sont inexpliquées et on présume que certaines sont dues à des dysfonctions sexuelles." Une double pudeur contribue également à expliquer cette sous-estimation : gênés d'aborder le sujet de leur vie sexuelle, les patients ne le mentionnent pas spontanément et les médecins ne le recherchent pas systématiquement car ils sont souvent mal à l'aise avec ce sujet...
Plusieurs explications sont possibles : certains couples n'ont pas de relation sexuelle par manque d'intérêt sexuel ; comme le rappelle le médecin, 1% de la population serait asexuelle [2]. D'autres ne partagent aucune intimité du fait de conflits, de troubles relationnels sévères (aussi appelés "conjugopathies" par les sexologues ou problèmes de couple par la population générale). Enfin, une intimité peut être présente mais ne pas déboucher sur une féconcation du fait de troubles sexuels : des rapports ont lieu, mais ils ne sont pas complets, avec pénétration et éjaculation dans le vagin."
Les troubles sexuels masculins
Chez l'homme, les troubles sexuels expliquant l'impossibilité à procréer sont :
- l'absence d'éjaculation dans le vagin, soit par anéjaculation, définie par l'absence totale d'éjaculation durant le rapport, soit par éjaculation rétrograde, lorsque le sperme passe dans la vessie (il est parfois possible de récupérer les spermatozoïdes émis dans l'urine pour ensuite réaliser une AMP) ;
- l'éjaculation prématurée "ante portas", lorsque l'homme éjacule avant de pénétrer sa partenaire (un trouble qui toucherait jusqu'à 9% des hommes d'après l'association européenne d'urologie) ;
- le trouble de l'érection sévère ne permettant pas de pénétrer la femme, concernant de 5 à 20% des hommes de moins de 50 ans (même source). "Mais elle touche moins l'homme jeune en bonne santé", détaille le Dr Salama.
Les troubles sexuels féminins
Chez la femme, le vaginisme ou les douleurs importantes durant les rapports (appelées dyspareunies) sont en cause. Le vaginisme est une contracture involontaire des muscles du périnée, qui empêche la pénétration, ce trouble pourrait concerner jusqu'à 1% des femmes [3]. "La prise en charge diffère selon le profil des patientes", explique le spécialiste. Lorsque le trouble touche des patientes jeunes, avec une éducation stricte, une méconnaissance de l'anatomie de son sexe, elle comporte une thérapie avec information sexuelle et dilatateurs progressifs. Les patientes plus âgées, dans la quarantaine, seront rapidement orientées vers des techniques d'assistance médicale à la procréation du fait de l'âge (la fertilité diminue avec l'âge).
Les douleurs lors des rapports, concernent jusqu'à 18% des femmes [4] et conduisent parfois à interrompre le rapport précocement. Elles peuvent également s'expliquer par des maladies, comme l'endométriose, elles-mêmes responsables d'infertilité. Il est donc impératif d'en trouver l'origine et de les prendre en charge.
L'infertilité et ses traitements, un retentissement direct sur la sexualité
Lorsque l'envie d'un enfant survient, la sexualité perd son côté récréatif pour le remplacer par un but de procréation. Si le désir d'un bébé ne se réalise pas rapidement, les craintes et les doutes s'installent et se cristallisent sur l'acte sexuel. Et quand le spécialiste d'AMP annonce à l'un des deux partenaires l'origine de l'infertilité, celui ou celle dont la fertilité est altérée se sent "responsable", est blessé narcissiquement. "L'imputation de l'infertilité est dévastatrice, confirme le Dr Salama, elle entraîne une dysfonction érectile chez les hommes et de la culpabilité chez la femme. Et en plus, dans certaines cultures, être une femme, c'est être capable d'être enceinte et d'accoucher par voie basse. On attaque donc l'image sociétale de femme".
En effet, l'homme dont le sperme n'est pas fécond, à cause d'une oligo-asthénospermie par exemple, se sent diminué dans sa virilité, ce qui est vécu de façon très dévalorisante, même si la partenaire est compréhensive. Ou si une femme souffre d'une trompe obstruée, responsable d'une infertilité, sa capacité reproductive est mise à mal, et la femme se sent sans valeur. Elle met parfois la sexualité de côté sciemment en se disant "à quoi bon ?". Dans les suites de l'annonce de l'infertilité, une dépression et une altération de la qualité de vie ne sont pas rares. "L'accompagnement psychologique doit se faire par le médecin dès la consultation d'annonce, en prenant garde à la blessure narcissique", reprend-il. Et il doit se poursuivre tout au long de la prise en charge…
Des traitements à l'origine de complications sexuelles
L'annonce de l'infertilité est suivie de la mise en place de techniques de PMA : une tierce personne, un étranger pénètre alors dans l'intimité du couple et cette intrusion dans la sphère privée n'est pas simple à vivre ni à accepter.
La recommandation médicale est alors de programmer ses rapports au moment de l'ovulation ou une fois que l'ovulation est déclenchée. Ce qui perturbe la spontanéité habituelle de la sexualité : faire l'amour sans désir, pour une "raison médicale", se vit souvent mal et ôte aux rapports sexuels érotisme et jeu.
Cette mécanisation génère du stress, provoque parfois un trouble sexuel et diminue la satisfaction : "le mari sait qu'il est attendu comme un étalon reproducteur une fois que l'ovulation est déclenchée, détaille le Dr Salama. 20% des hommes n'arrivent pas à éjaculer dans ces circonstances..."
Si les rapports sexuels programmés ne sont pas suffisants à obtenir une grossesse, un arsenal plus lourd est mis en place : la fécondation in vitro est plus ennuyeuse et source de stress et d'anxiété à chaque étape de la procédure. La femme est seule à subir les effets secondaires de l'hyperstimulation des ovaires : bouffées de chaleur, nervosité, insomnies, prise de poids, douleurs,… Elle se sent parfois atteinte dans sa féminité et la qualité de vie sexuelle en pâtit parfois. Et c'est sans compter un effet particulier : la libido est diminuée lors de la prise de médicaments appelés "agonistes de la LH-RH". "Une ménopause artificielle est créée, avec bouffées de chaleur, sécheresse vaginale, commente le sexologue. Elle ne favorise pas la libido…"
Autre frein aux rapports sexuels : les pertes vaginales qui font suite aux traitements à placer dans le vagin freinent parfois la sexualité en gênant la patiente ou son partenaire.
Et c'est sans compter les ponctions d'ovocytes, les incertitudes à propos de la réussite ou de l'échec de la tentative, qui sont très anxiogènes et parasitent le climat sexuel. Il n'est pas rare qu'après un transfert embryonnaire, les couples n'osent plus faire l'amour de peur de perturber la bonne implantation de l'embryon : "Il est tout à fait possible d'avoir des rapports après le transfert embryonnaire, indique le Dr Salama. Ca pourrait même améliorer l'implantation !"
Du côté de l'homme
L'homme vit aussi des périodes compliquées : la masturbation pour le spermogramme se fait dans un laboratoire peu glamour, anxiogène et générateur de stress (la qualité du sperme serait inversement liée à la durée de prélèvement : plus il est long, moins elle est bonne, d'après une étude d'Elzanaty [1]. Une abstinence de 2 à 5 jours est nécessaire, un délai qui est pénible à respecter pour certains hommes. Mais si plus de dix jours séparent deux éjaculations, la qualité du sperme est altérée. Tout est affaire de juste milieu… "Autre difficulté pour certains patients, rappelle le sexologue, la masturbation, lorsqu'ils n'en ont pas l'expérience ou si elle est vécue comme honteuse et parfois impossible, pour des raisons culturelles ou religieuses."
Et après des recueils chirurgicaux de sperme, il n'est pas rare qu'une dysfonction érectile survienne. "On constate parfois une altération de la qualité de l'érection après une biopsie, développe-t-il. Elle pourrait être d'origine hormonale puisque l'intervention peut induire une baisse du taux de testostérone, ou psychologique".
Que deviennent les couples après une PMA ?
La situation s'améliore-t-elle lorsqu'un enfant arrive ? Pas forcément, les études divergent... "Il est impossible de statuer tant les études partent dans tous les sens", estime le Dr Salama. Le climat sexuel détérioré peut ne pas s'améliorer après une grossesse (d'après l'étude de Gamet [6] ) tandis qu'une autre étude (Repokari [7]) montre qu'on retrouve une meilleure satisfaction sexuelle. Pour d'autres, il n'y a pas de différence entre les couples ayant réussi à avoir un enfant et ceux qui n'ont pas eu cette chance. Enfin, en cas d'échec, des dépressions réactionnelles, des troubles sexuels et des difficultés relationnelles sont plus fréquents chez les couples ayant essuyé un échec de l'AMP.
Sources :
[1] Kerneis, Les troubles sexuels à l'origine d'une infertilité sont-ils une indication ou une contre-indication de l'AMP ? Andrologie 2004;14:11-21
[2] Bogaert, Asexuality : prevalence and associated factors in a national probability sample. J Sex Res 2004;41:279-87
[3]Simons, Prevalence of sexual dysfunctions : results from a decade of research. Arch Sex Behav 2001;30(2):177-219
[4] Simons, Prevalence of sexual dysfunctions : results from a decade of research. Arch Sex Behav 2001;30(2):177-219
[5] Elzenaty, Time-to-ejaculation and quality of sperm produced by masturbation at a clinic Urology 2008;71:883-8
[6]Gamet A propos d'une étude sur la sexualité des femmes et des hommes pendant la grossesse issue d'une assistance médicale à la procréation (AMP°. Sexologies 2008;17:102-22
[7] Repokari. Infertility treatment and marital relationships : a 1 year prospective study among successfully treated ART couples and their controls. Hum Reprod 2007;22(5):1481-91
Conseils pratiques pour augmenter les chances de grossesse
Cela peut sembler être une lapalissade, mais le premier paramètre à évaluer en cas de difficultés à concevoir est la fréquence de rapports. "Elle est importante à connaître pour deux raisons : elle donne des renseignements sur la relation de couple et sur les chances de grossesse", commente le sexologue. Il confirme que plus il y a de rapports par mois, plus il y a de chances de grossesse, "notamment quand ils ont lieu durant la phase ovulatoire, quatorze jours avant ses règles. Il faut donc repérer sa date d'ovulation et pour optimiser la fertilité, je conseille des rapports sexuels quelques jours avant l'ovulation et jusqu'à deux jours après, puisque la durée de vie de ovules est au maximum de 48 heures et de quatre à cinq jours pour les spermatozoïdes".
D'autre part, comme la qualité du sperme s'altère lorsque le délai entre deux éjaculations dépasse dix jours et que les chances que le spermatozoïde et l'ovule se rencontrent diminuent, il faut éjaculer régulièrement soit par masturbation soit lors d'un rapport.
Qui consulter : un sexologue ou un spécialiste de l'infertilité ?
En l'absence de recommandations validées, il n'y a pas de réponse univoque et les pratiques sont spécifiques à chaque médecin. Selon le Dr Salama, plusieurs paramètres entrent en jeu : l'âge de la femme (si elle a 40 ans, elle doit être adressée à un spécialiste de la procréation), la capacité du couple au changement (sera-t-il réceptif à une prise en charge sexologique ? Si le couple est composé d'une femme de 40 ans avec un vaginisme et d'un homme avec une dysfonction érectile, un service de PMA peut être plus indiqué) et enfin de l'intérêt de l'enfant à naître (le couple est-il uni et stable ?).
"La loi de bioéthique estime que les techniques de PMA sont destinées à un couple infertile dont l'infertilité est médicalement prouvée, reprend le Dr Salama. Un vaginisme ou une DR en font-il partie ? C'est au médecin de choisir en son âme et conscience… Et dans le privé, les médecins sont peu regardants".
On mesure à l'aune de ces questions essentielle, la difficulté d'apporter une réponse unique sur la prise en charge…
Conserver une vie de couple en dépit des traitements
Il est très complexe de garder une sexualité épanouie dans les circonstances très stressantes que génèrent l'infertilité et sa prise en charge. Cette épreuve, parfois vécue comme une terrible injustice, met à mal l'union et fragilise le couple. Vivre sa propre blessure mais aussi celle de l'autre est très déstabilisant et douloureux.
Avoir conscience des difficultés que l'infertilité et son traitement créent peut aider à mieux les vivre. Mettre un peu de distance entre le projet de grossesse et soi, et préparer un éventuel renoncement si les techniques de PMA ne fonctionnent pas, sont 2 choses extrêmement difficiles à faire mais pourtant parfois conseillées.
Le premier conseil est de s'armer de patience et ne pas perdre espoir : "avec les inséminations, il n'y a que 15% de succès, et avec les FIV, 35% de succès. Donc si ça ne marche pas à la première tentative, c'est normal ! Il faut se remotiver et repartir là-dedans. Ce qui marche, c'est la répétition des tentatives." Si l'homme peut accompagner sa femme lors des phases médicales, sa présence diminuera un peu son sentiment d'impuissance et elle se sentira davantage soutenue.
Il est important pour le couple d'aborder avec le spécialiste toutes les questions, y compris sexuelles pour ne pas tester sur une incompréhension, un doute ou une souffrance. Quant aux médecins, ils doivent être sensibilisés, parler du versant sexuel au couple et valoriser les deux membres du couples, avec un conseil primordial : la vie de couple doit perdurer en dépit de la PMA. Garder une intimité ensemble, en dehors des périodes d'ovulation, est essentielle.
Faire une pause dans le parcours, en dépit de la volonté impérieuse d'avoir un bébé, est parfois salutaire : "Il ne faut pas hésiter à faire un break. Pour penser à autre chose… conseille le Dr Salama. Après deux ou trois échecs, c'est même préférable…." Partir en vacances pour se vider la tête et se retrouver un tant que couple est une bonne initiative.
Enfin, consulter un psychologue, durant cette épreuve, permet d'exprimer ses angoisses, ses incertitudes sans "parasiter" l'autre, mais surtout de bénéficier d'un soutien psychologique précieux.