Migrantes : le cri d'alarme de Gynécologie sans frontières
En mission dans les camps de réfugiés-migrants du Nord Pas-de-Calais, la santé des femmes préoccupe Gynécologie sans frontières. Elles sont les premières victimes de maladies, de violences sexuelles et de leurs conséquences. Le Dr Richard Matis, vice-président de l'association, évoque une situation désastreuse.
- Dans les camps de réfugiés, les femmes sont des victimes particulièrement vulnérables. A quoi sont-elles exposées ?
Dr Richard Matis : "Avant leur arrivée, elles ont bien souvent subi des violences, à type de prostitution imposée, de viols, d'atteintes sexuelles. Dans les camps, elles subissent beaucoup de violences physiques directes, mais aussi psychologiques, avec une incitation à la prostitution, qui est imposée pour payer les passeurs. Nous n'avons pas de témoignages directs, mais les bénévoles au contact des femmes nous rapportent des faits alarmants.
"Suite aux violences sexuelles, elles peuvent contracter une infection sexuellement transmissible (IST), une grossesse non désirée, avec un avortement. Les conditions précaires dans lesquelles elles vivent (absence d'hygiène, nombre insuffisant de toilettes) favorisent les pathologies féminines - infections vaginales et urinaires.
"Il y a également des problèmes de santé causés par les raisons climatiques : le froid humide favorise les pathologies infectieuses, ORL et dermatologiques. Ces femmes enceintes ne sont pas suivies médicalement. Or les conditions de vie stressantes peuvent rendre les grossesses à haut risque car elles ne peuvent pas se reposer... Elles sont donc exposées à la prématurité, aux retards de croissance,…"
- De quels soins doivent-elles bénéficier ?
Dr Richard Matis : "Gynécologie sans frontières fait l'interface entre les femmes, qui ont peur de consulter, et les professionnels de santé, qui sont réticents du fait de la barrière de la langue et en l'absence de connaissance du dossier médical. Nous ne faisons pas d'actes médicaux dans le camp, mais nous amenons ces femmes dans les structures existantes, faisons l'intermédiaire avec les professionnels de santé, nous restons avec elles durant les consultations et les ramenons au camp.
"Pour les interruptions de grossesse, nous amenons la patiente à l'hôpital en ambulatoire pour la phase d'expulsion et nous la surveillons ensuite pour vérifier l'absence d'hémorragie. Eventuellement, nous lui faisons passer la nuit dans un centre d'hébergement des femmes, où les conditions sont moins précaires.
"Pour les grossesses, cela peut être similaire ou nous privilégions la surveillance à domicile (avec une échographie, une cardio-échographie, la prise de tension artérielle, ainsi que les prélèvements sanguins basiques, analysés par les hôpitaux proches des camps).
"Concernant les IST et les infections urinaires, nous favorisons les traitements minutes et de principe, car nous ne savons jamais si nous allons revoir la patiente le lendemain. Nous donnons des antibiotiques, que les pharmaciens de la région nous ont offerts ou qu'ils nous font payer à prix coûtant.
"Bientôt, nous allons faire de la prévention dans un des camps, grâce à un jeu que nous distribuons habituellement dans les collèges et lycées, à propos des IST, de la contraception, des rapports hommes-femmes. C'est de l'éducation sexuelle, à l'aide de cartes de jeu, qui s'apparente à un groupe de parole ludique."
- Comment la situation pourrait-elle être améliorée ?
Dr Richard Matis : "Il faudrait déjà améliorer les conditions de vie car il n'est pas possible de faire pire… Les camps jordaniens, comme Zaatari, sont mieux que les nôtres ! Celui de Grande-Synthe est un vrai bidonville : nous marchons dans 20 centimètres de boue, les tentes sont installées dans la boue, il y a très peu de points d'eau, peu de WC et l'eau n'est pas toujours fonctionnelle... Il devrait être déménagé dans un hangar respectant les normes UNHCR, qui ressemblera davantage à un camp.
"Nous n'intervenons pas au niveau politique, mais selon moi, il faudrait les laisser passer. 10.000 personnes sont désespérées de voir la ligne d'arrivée à 30 km... Les camps coûtent une fortune en temps, en souffrance, en argent (la construction de Grande-Synthe, 2,4 millions d'euros). Ce n'est pas une belle page de la France, alors qu'il s'agit d'une immigration avec des gens qui ont un statut socio-économique chez eux, ils ont des projets de vie.
"Cette mission française est difficile, les financements sont plus compliqués à obtenir : il n'y a aucune subvention de la part des institutionnels à cause du contexte politique et en décembre des élections régionales. Les donateurs privés sont réticents, même les fondations… Grâce à la médiatisation de Grandes-Synthe par Médecins sans frontières, qui a été poignante, les fondations privées sont revenues un peu vers nous et nous allons sans doute prolonger nos actions jusqu'à la fin du mois d'août 2016. Les seuls à répondre présents rapidement ont été la fondation du Grand Orient de France, qui a vu l'aspect humain avant l'aspect politique, et Sanofi."