Les pistes pour lutter contre la hausse des prix des médicaments
La question du prix des médicaments innovants qui menace l'accès aux soins suscite l'inquiétude des professionnels de santé et des patients. Claudine Esper, vice-présidente de la Ligue contre le cancer, Christian Saout, secrétaire général délégué du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et le Pr Jean-Jacques Zambrowski, spécialiste en médecine interne et économiste en santé, invités du Magazine de la santé, ont évoqué différentes pistes pour lutter contre cette hausse des prix des médicaments innovants.
- L'accès aux soins est-il menacé ?
L'avis de Claudine Esper, vice-présidente de la Ligue contre le cancer : "Manifestement, les nouveaux médicaments en cancérologie avec notamment les thérapies ciblées atteignent des prix très élevés. Il faut par exemple compter 40.000 euros pour un mois de cure pour un patient. Même si ces médicaments sont très efficaces, cela reste excessif. On dispose de progrès thérapeutiques remarquables mais on a le risque que notre système d'Assurance maladie ne puisse plus dans un certain temps assumer de telles dépenses. De ce fait, on a un risque d'inégalité dans l'accès aux soins. Il ne faut pas arriver à un système où certains patients pourraient se payer ces médicaments et d'autres pas. Il faut donc absolument revoir le système d'évaluation des prix de ces nouveaux médicaments."
L'avis du Pr Jean-Jacques Zambrowski, spécialiste en médecine interne et économiste en santé : "Les prix des médicaments sont fixés par le comité économique des produits de santé. Selon son directeur, son rôle est de faire des économies. Il n'a donc aucune tendresse particulière pour les industriels. Il faut aussi savoir que le prix que l'on paie n'est pas seulement le prix de quelques milligrammes ou quelques millilitres d'un produit, c'est bien plus que cela. La vraie problématique qui se pose, c'est de savoir quelle est la valeur ajoutée supplémentaire apportée ou pas par un nouveau produit ou un nouveau dispositif. Il faut aussi tenir compte du prix accordé par les instances d'évaluation et de fixation des prix dans les différents pays voisins puisqu'il existe une sorte de panier dans lequel il y a les différents prix des autres pays européens.
"Le médicament pèse entre 15 et 17% du total des dépenses de l'Assurance-maladie. On a raison d'avoir des craintes. On peut craindre qu'un jour on ne puisse plus rembourser et qu'il faille un jour faire de la place en déremboursant un certain nombre d'actes, de prestations ou de services. Ce n'est actuellement pas le cas mais l'arrivée sur le marché d'un certain nombre de produits fortement innovants, fortement efficaces mais fortement onéreux, risque de créer une tension qui sera difficile à supporter. Mais c'est tout un ensemble qu'il faudrait reconsidérer."
- Faut-il revoir le système d'élaboration des prix des médicaments ?
L'avis de Claudine Esper : "Avant tout, il faut mettre à plat le mécanisme d'élaboration des prix de ces médicaments. Le mécanisme a été élaboré à une époque où ces médicaments innovants n'existaient pas. Il faut donc revoir les critères. Par exemple, ces critères n'incluent pas l'activité industrielle. Il faut donc revoir les critères sur lesquels les prix des médicaments sont élaborés. Pour cela, il faut revoir les éléments d'information dont dispose le comité économique des produits de santé. Et il faut de la transparence. Il faut que l'on connaisse ces critères. De même, il faut que l'on connaisse mieux les travaux du comité économique des produits de santé. On demande par exemple la présence d'associations de patients dans les réunions du CEPS. Actuellement, il y a une anomalie dans le montant de ces prix donc il faut revoir la question. "
- Quid du recours à une licence d'office ?
Deux candidats à l'élection présidentielle, Benoît Hamon et Marine Le Pen, souhaitent utiliser la licence d'office en cas de prix trop élevé. Cette licence d'office correspond à un article du code de la propriété intellectuelle. Elle offre la possibilité, lorsque le prix est trop élevé, de génériquer le médicament alors que le brevet n'a pas encore expiré.
L'avis du Pr Jean-Jacques Zambrowski : "Cela fait partie de mesures de discours politiques. Mais elles n'ont aucune vraisemblance. Le brevet est une affaire internationale, il n'est pas que français. Donc accorder une licence signifierait qu'en France un génériqueur pourrait produire mais pas en Belgique, en Italie…
"Un produit a une durée de protection du moment où il est inventé de vingt années. On consomme six, sept, huit, dix années le temps des différentes expérimentations, contrôles, négocations… jusqu'à ce qu'il arrive sur le marché. Il lui reste alors dix années de vie sur le marché. Dans la réalité, cela n'est pas tout à fait vrai. C'est le maximum possible mais très souvent un autre produit issu d'une recherche apparaît quelques années plus tard et rend obsolète le produit."
- L'Etat peut-il imposer des prix plus bas à l'industrie pharmaceutique ?
L'avis de Christian Saout : "En dehors de la licence d'office, il y a la possibilité de faire un prix administré. Mais on est dans un rapport de force. Si le laboratoire ne veut pas le fabriquer, ni le mettre en circulation dans un pays donné à ce prix-là, on se retrouve sans traitement. C'est donc bien un problème de responsabilité sociale, collective, y compris des entreprises du médicament qui aiment bien dire qu'elles ont une responsabilité sociale. Donc si elles en ont vraiment une, il doit y avoir un prix à ne pas dépasser."
L'avis de Claudine Esper : "La Grande-Bretagne fixe un maximum pour un certain produit. On dépense tant d'argent sur l'année mais pas plus. En France, nous n'en sommes pas encore arrivé à ce point.
"Le comité économique des produits de santé est la seule instance santé en France dans laquelle il n'y a pas d'associations de patients. Et c'est une revendication majeure."
L'avis du Pr Jean-Jacques Zambrowski : "En France, l'accord est négocié par le comité économique des produits de santé qui n'est pas un comité dans lequel il y a des experts représentant des patients, ni des industriels, ni des médecins… c'est un comité de représentants de la haute administration et de la Sécurité sociale. Le prix tient compte d'un accord prix-volume. Et les uns et les autres élaborent une population, un nombre de patients auxquels ce médicament sera proposé. Si le laboratoire vend plus de produits en quantité et donc en prix que ce qu'il lui a été autorisé, il devra reverser la différence. Et ce montant des remises est évidemment une source de rééquilibrage."