Lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes : quelle est la situation en France ?
Depuis l'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo, la parole des femmes victimes de violences sexuelles se libère aux Etats-Unis. La France vit-elle, elle aussi, ce tournant historique dans la lutte contre ces violences ? Le point avec le Dr Muriel Salmona, psychiatre.
En France, les mouvement #MeToo et #BalanceTonPorc ont été l'occasion d'une prise de conscience de l'échec de toutes nos structures pour protéger, prendre en charge et rendre justice aux victimes de violences sexuelles.
Le constat est implacable. En 2018, les violences sexuelles sont toujours aussi fréquentes et répandues, elles touchent plus de 20% des femmes, et ce sont les filles et les femmes les plus jeunes et les plus vulnérables qui les subissent le plus (femmes handicapées, discriminées, sans abri, migrantes, personnes prostituées). Chaque année, 93.000 femmes et 130.000 filles subissent des viols et des tentatives de viols, dans plus de 90% des cas par des proches.
Des conséquences psychologiques graves sur la santé
L'impact psychotraumatique de ces violences et la gravité de leurs conséquences sur la vie et la santé à long terme des victimes commencent à peine à être reconnus comme un problème majeur de santé publique. Elles sont plus de 70% à subir des conséquences sur leur santé mentale : une victime sur deux fait des tentatives de suicide, des dépressions et a des conduites addictives, 70% subissent à nouveau des violences. Alors que le premier recours des victimes est le psychiatre puis le médecin, les professionnels du soin ne sont toujours pas formés pendant leurs études médicales et de spécialisation et l'offre de soins est très insuffisante. Les victimes mettent en moyenne treize ans avant de trouver une prise en charge satisfaisante (source : enquête IVSEA 2015).
Quant à la justice, l'impunité est presque totale. Moins de 9% des femmes victimes de viols portent plainte et seul 1% de l'ensemble des viols sont condamnés en cour d'assises. 70% des plaintes pour viol sont classées sans suite et 20% sont correctionnalisées.
Réformer les structures pour lutter contre l'impunité
Il est donc urgent d'agir. Les victimes de ces crimes sont confrontées à un déni, une loi du silence, une culture du viol qui les culpabilisent et à des injustices en cascade. 83% des victimes de violences sexuelles n'ont jamais été ni protégées, ni reconnues. Leur perte de chance en terme de santé et d'intégration sociale est énorme et scandaleuse, d'autant plus qu'une prise en charge précoce, une protection et des soins appropriés éviteraient la majeure partie des conséquences des violences ainsi que la production sans fin de nouvelles violences. Et pour les rares qui ont accès à la justice, les procédures judiciaires sont mal vécues par plus de 80% des victimes et elles augmentent chez elles le risque suicidaire (source : enquête IVSEA, 2015).
Toutes les structures éducatives, sociales, sanitaires et judiciaires doivent être réformées en urgence pour ne pas laisser ces crimes et délits impunis et pour prendre en charge, soigner et mettre hors de danger les victimes.
Face à cette situation catastrophique, le président de la République et son gouvernement avec Marlène Schiappa revendiquent une volonté de ne plus rien laisser passer (#NeRienLaisserPasser) et ont présenté le 25 novembre 2017, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, des mesures pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, dans le cadre de la grande cause du quinquennat pour l'égalité femme-homme.
En quoi consiste le plan de lutte proposé par le gouvernement ?
Ces mesures dont la mise en oeuvre est prévue lors du premier semestre 2018 se répartissent en trois grands thèmes avec un volet prévention et éducation dès le plus jeune âge (dès la maternelle), un volet amélioration de l'accompagnement des victimes et un volet renforcement de l'arsenal législatif.
En plus de grandes campagnes de sensibilisation, d'un plan de formation initiale et continue de tous les professionnels, des mesures phares que les associations réclamaient depuis longtemps sont prévues :
- l'implication forte des professionnels de santé qui sont en première ligne, avec un dépistage systématique des violences, la prise en compte de l'effet dévastateur de ces violences sur la santé des victimes et de la nécessité d'une prise en charge à 100% des psychotraumatismes et d'une meilleure offre de soins avec la création dès 2018 de dix centres spécialisés pluridisciplinaires de soins du psychotraumatisme pour les victimes de violences sur les cent prévus à terme sur tout le territoire et en outre-mer
- la facilitation du dépôt de plainte avec un meilleur accueil : une pré-plainte avec un signalement et un échange en ligne avec des policiers et des gendarmes sur une plateforme, un recueil de preuves médico-légales aux urgences hospitalières et dans les unités médico-judiciaires sans qu'il n'y ait ni de plainte ni de réquisition
- l'amélioration des lois avec la mise en place d'un âge du consentement légal (le président s'est déclaré favorable personnellement à 15 ans, nous espérons que ce sera irréfragable et avec un âge de consentement à 18 ans en cas d'inceste, de vulnérabilité et de personne ayant autorité)
- l'augmentation des délais de prescription pour les crimes sexuels et les délits sexuels aggravés pour les mineurs, de 20 à 30 ans après la majorité (bien que nous préconisons l'imprescriptibilité)
- la création d'un nouveau délit : le délit d'outrage sexiste pour sécuriser les lieux publics et les transports pour les femmes et édicter des limites claires pour ne plus tolérer les propos sexistes.
Dans le même temps, la garde des Sceaux a annoncé d'autres mesures pour mieux protéger les victimes qui portent plainte en mettant en place une évaluation du danger encouru, et mieux sécuriser les procédures judiciaires en évitant les confrontations des victimes avec leurs agresseurs grâce à l'utilisation de vidéos.
Des mesures suffisantes ?
Associées à celles présentées en 2017 lors des plans nationaux de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants qui prévoient des médecins référents formés dans chaque service d'urgence adulte et pédiatrique, une meilleure prise en compte de l'inceste, ces mesures, si elles sont mises en oeuvre avec les moyens humains et financiers nécessaires, seront une véritable avancée.
Mais elles seront loin d'être suffisantes pour répondre à l'urgence de la situation, particulièrement en ce qui concerne la justice et la santé. Rien n'est précisément prévu pour la formation obligatoire de tous les professionnels de la santé en initial et en continu. 82% des étudiants en médecine disent n'avoir reçu aucune formation sur les violences sexuelles en deuxième et troisième cycle alors qu'ils sont 95% à souhaiter en recevoir (source : MIPROF, 2013).
Il faut espérer que ces mesures soient fondatrices d'une politique publique forte qui s'installera dans la durée, et qu'elles susciteront un réel engagement de tous les professionnels concernés, particulièrement des professionnels de la santé, et de tous les citoyens.