Des chercheurs viennent-ils d'apporter la preuve de la vie après la mort ?
● FAUX – Les titres des journaux sont éloquents : "Oui, il y a bien « quelque chose » après la mort"... "Rassurez-vous, il y a bien une vie après la mort"... "Des scientifiques ont prouvé qu'il y aurait bien une vie après la mort". La presse, s'appuyant sur "la plus grande étude jamais mené sur le sujet", fait sonner les trompettes célestes et annonce rien moins que la preuve de l'âme. Les travaux, publiés début octobre dans la revue Resuscitation, sont en réalité bien loin de démontrer quoi que ce soit...
L'étude AWARE : à la recherche d'un cas intéressant
Durant quatre années, les auteurs de l'étude AWARE(1) ont méthodiquement recensé les cas d'arrêts cardiaques pris en charge par les services de réanimation de cinq hôpitaux nord-américains et britanniques.
Sur 2.060 patients, seuls 330 ont survécu à l'intervention. Parmi eux, 140 patients ont accepté (ou été en état) de répondre à un questionnaire standardisé sur le souvenir de sensations ou de perceptions "survenues durant le temps de la réanimation". 55 patients ont relaté des sensations ou des souvenirs, d'intensité et de nature très variables.
Sur ces 55 témoignages, 46 correspondaient à des sensations (peur, déjà-vu) ou des hallucinations (visite de proches, présence d'animaux, etc.). Seuls 7 cas correspondaient à la typologie dite des "expériences de mort imminente" (EMI), définie par l'échelle de Greyson (voir encadré). Cinq de ces cas, cependant, n'intégraient aucune sensation visuelle ou auditive.
Restaient deux cas qui pouvaient faire l'objet d'une contre-enquête…
L'objectif, pour les auteurs, était en effet de déterminer si les perceptions relatées correspondaient à des évènements spécifiques survenus dans le bloc opératoire durant le laps de temps où le cœur du patient était arrêté. En d'autre terme, si la conscience du sujet et sa capacité à percevoir l'environnement avaient pu exister dans un corps dans lequel la circulation sanguine est interrompue.
Une entrevue spécifique, destinée à confirmer les souvenirs des deux patients, a été programmée dans un délai non précisé dans l'article scientifique. A noter que la mention de cet intervalle (pendant lequel l'une des deux personnes est décédée) aurait été importante : une célèbre étude de 2001 avait ainsi fait l'objet de critiques du fait que certains patients qui n'avaient pas relatés d'EMI après leur réanimation en faisaient cas lors d'entrevues programmées deux ans plus tard.
Le psychiatre Bruce Greyson a proposé en 1983 une "échelle" destinée à mesurer l'intensité des expériences dites "de mort imminente" (EMI). Une version approfondie a été développée en 2004. C'est cette échelle qui a été utilisée dans l'étude AWARE (à laquelle Greyson a directement participé).
A chacune des 16 questions du questionnaire correspond trois réponses, auxquelles sont associées un score : 0 (réponse négative), 1 (sensation floue) ou 2 (sensation vive).
◆ Le temps semblait-il s'accélérer ou ralentir ?
◆ Est-ce que vos pensées étaient accélérées ? [...]
◆ Avez-vous vu, ou vous êtes-vous senti entouré par une lumière vive ?
◆ Vos sensations étaient-elles plus intenses que d'habitude ? [...]
◆ Vous êtes vous senti séparé de votre corps ?
◆ Vous a-t-il semblé entrer dans une autre monde, un monde immatériel ? [...]
Des perceptions specifiques ?
Toute l'étude repose donc désormais sur un seul et unique cas d'EMI. Analysons-le en détail.
L'article scientifique rend compte du témoignage du patient. Dans un premier temps, celui-ci décrit ses souvenirs conscients (avant l'arrêt cardiaque). Puis survient ce qu'il décrit comme un black out, une perte de conscience.
"Pourtant, je me souviens très bien d'une voix automatisée disant « choquez le patient, choquez le patient », et que, dans [le] coin de la salle il y avait une [femme] qui me faisait signe. Je me rappelle avoir pensé en moi-même, "je ne peux pas aller là-bas"… Elle me fait signe… Je sentais qu'elle me connaissait, je sentais que je pouvais lui faire confiance, et je sentais qu'elle était là pour une raison, et je ne savais pas ce que c'était."
"La seconde suivante, j'étais là, me regardant "d'en haut". Il y avait l'infirmière, et un autre homme qui avait une tête chauve. Je ne pouvais pas voir son visage, mais je pouvais voir l'arrière de son corps. C'était un gars trapu. . . Il avait des habits bleus, et un chapeau bleu, mais je peux dire qu'il était chauve, du fait de l'endroit où était positionné son chapeau."
Le patient s'est alors réveillé. Il explique avoir reçu la visite d'un homme, le lendemain, qu'il a identifié comme "l'homme chauve".
Au cours d'un second entretien, son récit est plus riche :
"Au début, je pense, j'ai entendu l'infirmière dire « composer le 444, arrêt cardiaque ». […] J'étais au plafond, et regardais vers le bas. […] J'ai vu ma tension artérielle prise alors que le médecin mettait quelque chose dans ma gorge. J'ai vu une infirmière [appuyer sur mon sternum]. J'ai vu que l'on prenait [mon taux de glucose]."
De très nombreux cas d'EMI similaires ont été décrits et, habituellement, les chercheurs admettent que rien ne permet d'établir qu'il ne s'agit pas là d'hallucinations formées au moment du réveil, ou durant le moment où le cerveau, bien qu'il ne soit plus alimenté en oxygène, fonctionne encore. La description d'un bloc opératoire et des procédures de réanimation, présentées en détail dans d'innombrables films et séries télévisées, la perception des membres de l'équipe avant l'arrêt cardiaque, pourraient aisément expliquer tous les cas décrits jusqu'à présent dans la littérature sans qu'il soit besoin d'introduire l'hypothèse d'une sortie hors du corps.
En quoi ce cas diffère-t-il des autres ? En quoi constitue-t-il une preuve supplémentaire ?
Les auteurs l'expliquent : le rapport médical "confirme l'utilisation d'une réanimation par [défibrillateur], la présence de l'équipe médicale autour du patient au moment de son arrêt cardiaque, et le rôle de l'homme en bleu". Ils notent que les protocoles de réanimation imposant un intervalle d'au moins deux minutes entre chaque utilisation du défibrillateur, la conscience du patient a dû perdurer – après son arrêt cardiaque – durant environ trois minutes...
Difficile, ici, de voir le caractère "spécifique" du rapport donné par le patient. En réalité, il est tout aussi "non-spécifique" que les nombreuses autres descriptions d'EMI recensées depuis des dizaines d'années...
Par exemple, le fait de deviner que le médecin qui vient nous rendre visite le lendemain de l'intervention est le même que celui qui l'a pratiquée est loin d'être extraordinaire. Quant à la calvitie du chirurgien, le témoignage ayant été recueilli après cette rencontre, il n'est pas possible de déterminer à quel moment ce détail a réellement été perçu par le patient.
Une ''EMI'' comme les autres
Le cas rapporté ci-dessus pourrait pourtant impressionner : tout de même, l'homme relate des sensations durant une phase d'inconscience. De plus, cet énième témoignage ne vient-il pas corroborer d'innombrables autres récits similaires ?
Si l'étude AWARE a été mise en place, c'est précisément parce que, jusqu'à présent, des explications faisant l'économie de l'hypothèse d'une "conscience indépendante du corps" ont toujours suffi à décrire les cas.
Des sensations non spécifiques
La prudence s'impose en effet, à bien des égards. Tout d'abord, les phénomènes décrits dans les EMI apparaissent très similaires à ceux relatés dans d'autres situations cliniques dans lesquelles le pronostic vital des patients n'est pas engagé (par exemple, la prise de kétamine, une substance anesthésique parfois détournée de son usage premier à des fins stupéfiantes).
Les synthèses d'études de cas réalisées depuis le début des années 1990 montrent que les aspects les plus spécifiques des expériences sont très fortement connotés culturellement (par exemple, les EMI relatées en Inde font très rarement cas de "lumière au bout du tunnel", mais mettent en scène des divinités hindouistes).
Un profil neurologique particulier ?
De nombreux travaux ont déjà été menés sur les personnes relatant des EMI. Une étude de 2007, portant sur 55 d'entre elles, a montré que près de la moitié avait, antérieurement, déjà vécu des épisodes de dissociation corporelle (hallucinations de "sortie hors de son corps") dans des phases de demi-sommeil. Une proportion similaire a également été sujet à des paralysies du sommeil(1). Ce type d'expérience est cependant rare dans la population générale (environ 5%), suggérant l'existence d'un terrain neurologique favorable à la survenue des EMI.
A ces observations s'ajoute généralement une interrogation générale sur le processus par lequel le cerveau - organe éminemment physique - serait capable d'enregistrer et de garder trace d'une expérience totalement non physique...
D'autres preuves attendues
Lorsqu'elle fut initiée, l'étude AWARE fut décrite par ses promoteurs comme celle qui trancherait définitivement la question de la réalité des expériences de sortie hors du corps.
Le protocole expérimental retenu incluait, de fait, un élément décisif : "la vérification des souvenirs relatifs aux événements survenus au cours de la réanimation [incluera] l'utilisation d'objets cachés, qui ne sont normalement pas visibles du point de vue d'un patient ou d'un soignant. [...] Typiquement, ce sont les images placées sur un support suspendu au plafond dans une salle d'hôpital, de manière à ce que les images tournées vers le haut, vers le plafond. Ces objets vont fournir un marqueur indépendant et objectif des revendications [perceptives] pendant un arrêt cardiaque".
Or, les résultats de l'étude présentée au début du mois d'octobre ne font plus du tout mention de cet élément qui aurait, effectivement, apporté le premier élement de preuve tangible de la réalité du phénomène des EMI – élement de preuve tant attendu par les initiateurs d'AWARE.(3)
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(1) "AWAreness during REsuscitaiton", ou "conscience durant la réanimation".
(2) Etat favorable à des épisodes de "rêve éveillé" et d'hallucinations.
(3) Le professeur Sam Parnia s'est déjà exprimé de nombreuses fois sur ses croyances personnelles : selon lui, la conscience serait "une sorte de flux électromagnétique" totalement ou partiellement indépendant du fonctionnement du cerveau. En 2003, suite à la diffusion d'un documentaire de la BBC dans lequel il était intervenu, de très nombreux chercheurs avaient alerté sur la confusion entretenue, dans son discours, entre ses positions de croyant et le résultat de réelles recherches.
Source : AWARE—AWAreness during REsuscitation—A prospective study.Sam Parnia et coll. Resuscitation, oct. 2014. doi:10.1016/j.resuscitation.2014.09.004
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Quelques cas d'EMI avec perceptions d'élements inaccessibles au patient ont déjà été relatés dans des revues à caractère scientifique. Plusieurs études critiques, impliquant parfois des visites des sites, ont invalidé le fait que ces détails étaient inaccessibles aux yeux des patients durant des phases conscientes (pendant le transport au bloc) soit... l'existence même des objets décrits. Ces analyses critiques avaient directement inspiré le protocole initital de l'étude AWARE.