Les arrêts maladie, boucs émissaires du gouvernement ?
Le président de la République et le gouvernement choisissent de faire de la lutte contre les fraudes à la Sécurité sociale l'une de leurs priorités. Alors qu'ils sont loin de constituer le plus gros budget de la Sécurité sociale, les arrêts maladies sont particulièrement visés. Les salariés du secteur privé devraient désormais attendre leur cinquième jour d'arrêt de travail pour être indemnisés. Ceux du public se voient instituer un jour de carence avant indemnisation.
En ces temps de pré-campagne électorale, Nicolas Sarkozy a évoqué aujourd'hui, mardi 15 novembre 2011, à Bordeaux, la question des fraudes qui plomberaient les comptes de la Sécurité sociale. Il s'appuie notamment sur le rapport réalisé par le député UMP Dominique Tian. Celui-ci évaluait en juin 2011 le mondant de ces fraudes à deux, voire trois, milliards d’euros. En tête de liste des coupables évoqués depuis déjà plusieurs semaines : les arrêts maladie. Ces jours-ci, ce député proposait donc d’imposer aux fonctionnaires le même régime qu’aux salariés du privé. C’est-à-dire qu’au lieu d’être indemnisés dès le premier jour de leur arrêt, ils attendraient le quatrième jour.
Après cet effet d’annonce assez brutal, Nicolas Sarkozy se donne des allures "modérées" en déclarant que ce délai augmentera en fait d'un seul jour pour les uns et les autres. Soit une journée de carence pour le public et désormais quatre jours pour le privé. Le gouvernement espère économiser ainsi 220 millions d’euros. Sa justification ? "Les indemnités journalières, qui représentent 6,6 milliards d’euros, progressent à un rythme élevé et difficilement justifiable", ont affirmé les ministres après le discours présidentiel. Autrement dit, tous les arrêts sont en quelques sortes suspects.
"Absurde", répond Jean-Paul Hamon, médecin généraliste et président de la Fédération des médecins de France (interview ci-dessus), "aujourd’hui, ceux qui cumulent un très grand nombre de journées d’arrêt ont des maladies graves comme le cancer." En adoptant cette mesure, le gouvernement regretterait donc en quelques sortes les progrès médicaux qui allongent, d’année en année, leur espérance de vie ?
Quant au plus grand nombre, poursuit le médecin généraliste, "ils vont maintenant travailler alors qu'ils sont malades, tant la pression des entreprises est importante." De fait, lorsqu’on examine un peu dans le détail ces fameuses indemnités versées en cas d’arrêt de travail, on constate que le nombre annuel de journées concernées par personne a plutôt diminué depuis les années 1970. Il était alors de plus dix par an et il est resté autour de sept, jusqu’à ces toutes dernières années, pour se positionner à huit en 2004 (source : Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé - IRDES).
Surtout, selon les chiffres de la Sécurité sociale elle-même, les premiers prescripteurs d’arrêts maladie en 2005, par exemple, étaient les chirurgiens orthopédistes avec un total de 8 520 journées ! Alors certes, certains d’entre eux ont peut-être posé un peu trop de prothèses de hanche à des seniors un peu trop jeunes. Mais en l’occurrence, ici, la principale responsable de l’augmentation est la démographie. Les baby boomers nés dans les années 1945-50 vieillissent forcément et ont besoin de l'aide des chirurgiens pour leurs articulations… Quant aux seconds prescripteurs d’arrêts, il s’agit des neuro-chirurgiens, avec 5 843 journées. Et là encore, un peu comme pour le cancer, qui pourrait regretter les formidables progrès réalisés par ces spécialistes dans la prise en charge du cancer, de la maladie de Parkinson ou de l’épilepsie, par exemple ?
Les médecins généralistes n’arrivent en fait qu’en troisième position : leurs ordonnances prescrivaient la même année 2 918 journées de pause pour leurs patients. Alors bien sûr, cela reste un nombre non négligeable d’arrêts mais vraisemblablement pas LA cause du trou de la Sécurité sociale, comme l’insinuent plus ou moins explicitement nos dirigeants. Ainsi, selon Xavier Bertrand, ministre de la Santé, 10 à 15 % des arrêts de travail de longue durée seraient abusifs. Il cherche donc un moyen de les sanctionner financièrement. "C’est exagéré, pour l’ensemble des arrêts de travail, je pense que cela ne dépasse pas les 1 à 2 %", répond Jean-Paul Hamon. "D’ailleurs, les véritables fautifs sont connus et nous attendons depuis des années que la Sécurité sociale les sanctionne ! Ce qu'il faut, c'est une politique globale d'économie avec des choix politiques de fond sur le médicament et l'hôpital, pas des mesures qui culpabilisent les patients."
Michel Cymes et Marina Carrère d'Encausse ont fait le point avec Jean-Paul Hamon, médecin généraliste et président de la Fédération des médecins de France, sur le plateau du "Magazine de la santé".