Addiction à la cortisone : y'a-t-il un danger à utiliser les crèmes à base de corticoïdes ?

Une association de patients déclare que des addictions peuvent survenir après un long traitement cutané à base de corticoïdes. Tous ont un point commun : ils souffrent d'un syndrome rare qui apparaît après un usage trop prolongé et important de ces crèmes. Décryptage.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le , mis à jour le
Médicaments : attention aux risques de l'auto-médication
Médicaments : attention aux risques de l'auto-médication  —  Allodocteurs - Newen Digital

"J'ai commencé il y a 11 mois un véritable sevrage des crèmes à base de corticoïdes, les dermocorticoïdes", témoigne Tristan Daigle, atteint d'eczéma sévère et vice-président de l'association des Victimes de dermocorticoïdes. "Mes symptômes d'eczéma avaient explosé depuis 10 ans et j'avais enchaîné de nombreux traitements, dont ces crèmes de façon importante. Après un mois d'arrêt des dermocorticoïdes, la peau de mon visage a flambé : j'ai beaucoup de suintements, davantage que de rougeurs, dus à ce syndrome."   

Ces symptômes à l'arrêt des crèmes à base de corticoïdes sont connus de certains spécialistes sous le nom du syndrome de la peau rouge ou de peau en feu. "Cela a même entraîné un arrêt de travail de 3 mois puis un mi-temps thérapeutique", reprend Tristan. "Je travaille dans le conseil auprès de clients et les gens regardent ma peau très bizarrement..."      

Parler pour mieux vivre la maladie

Tristan s'est renseigné sur Internet : il est loin d'être le seul à vivre ce syndrome de la peau rouge, qui reste méconnu, et il se rapproche d'un groupe sur Facebook pour partager sa souffrance.   

 "Je vis mieux le regard des autres grâce au groupe, constitué de 965 patients comme moi. Je mets des mots sur la maladie que j'ai, sur l'errance thérapeutique car peu de médecins la connaissent. Je me sens soulagé car je sais que le sevrage est la solution, même si la progression n'est pas linéaire et que les rechutes sont moralement difficiles. Je m'accroche au groupe", confie Tristan. 

Sur Internet, il découvre aussi que le syndrome de la peau rouge est reconnu dans certains pays, comme l'Australie et le Japon, sous le nom de "topical corticosteroid withdrawal", mais ne l'est toujours pas en France. Les patients en souffrance n'hésitent pas à parler de véritable addiction, nécessitant un sevrage long et dur à supporter.

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S'agit-il bien d'une addiction ?

Pour le Pr Chast, pharmacologue, tout dépend de ce que l'on entend par addiction. "Ce n'est pas une addiction au sens où on l'entend habituellement", explique-t-il. "L'addiction est un phénomène psychologique impliquant l'impossibilité de l'arrêt d'une conduite, phénomène sous-tendu par des mécanismes cérébraux liés au système de la récompense."

Le fait que les patients ont du mal à arrêter leurs crèmes ne définit pas l'addiction mais simplement le besoin d'un traitement chronique du fait de leur pathologie.  

"Là où Tristan Daigle a peut-être pour partie raison, c'est qu'il y a bien une composante psychologique dans l'arrêt des corticoïdes", nuance le pharmacologue. "Des études montrent que l'ajout de benzodiazépines (NDLR : molécules calmant l'anxiété et le stress) durant le sevrage minimise le rebond à l'arrêt de corticoïdes. Il y a bien une impossibilité d'arrêter les dermocorticoïdes sans dégâts pour une partie des patients."

Faire reconnaître le syndrome et mieux former les médecins

Avec d'autres patients, Tristan Daigle s'est mobilisé pour une meilleure prise en charge du syndrome de la peau rouge, grâce à la création de l'Association des Victimes des dermocorticoïdes.            

"L'association estime que les dermocorticoïdes sont des molécules miraculeuses mais qui ne sont pas à utiliser fréquemment et sur le long terme", explique Tristan. "Nous dénonçons une prescription systématique des dermocorticoïdes, parfois dans des quantités fortes sur 6 mois ou 1 an mais elle ne règle pas le problème de certains eczémas sévères ! Si 97% des gens ont une amélioration en arrêtant les dermocorticoïdes et retrouvent une vie normale après un certain temps, pour les autres ce n'est pas le cas."

Un point de vue partagé par le Dr Chavigny, dermatologue et expert pour la Fondation Eczéma : "Certains patients sont terrifiés psychologiquement, c'est un véritable sevrage, comme l'héroïne. Dans notre équipe, il y a un soutien psychologique de ces patients et j'anime des groupes de parole avec une psychologue."  

L'association souhaite donc ouvrir le débat sur le sujet . "Il faut reconnaître ce syndrome et la souffrance des patients, ainsi que mieux former les médecins", estime Tristan Daigle. "Ils doivent mieux prendre en charge le syndrome et proposer des solutions alternatives, d'autres médicaments, des cures thermales remboursées par la sécurité sociale, un régime alimentaire adapté peut-être."