Créer des virus mutants surpuissants est-il justifié ?
Alors que les Etats-Unis arrêtent temporairement leurs financements, les recherches sur les virus génétiquement modifiés posent question. En pleine épidémie Ebola, la Maison Blanche et les scientifiques s'inquiètent sur la potentielle dangerosité de ces manipulations virales.
L'annonce est tombée vendredi 17 octobre : la Maison-Blanche arrête temporairement le financement des recherches sur les virus mutants. Appelés GOF, pour "Gain of function" (acquisition de fonction), ces virus sont génétiquement modifiés en laboratoire. Plus mortels, plus virulents et surtout hautement transmissibles, ces virus sont boostés à partir de leurs souches d'origine. Les chercheurs donnent alors naissance à un virus invincible, presque indétectable par le système immunitaire humain.
En 2005 déjà, ces recherches avaient fait grand bruit. Une équipe de virologues américains avaient recréé le virus de la grippe espagnole, à partir de tissus humains congelés. Ils ressuscitaient alors l'infection la plus mortelle de l'histoire qui avait provoqué 50 millions de morts en 1918, soit presque autant que la Seconde Guerre mondiale.
Des souches de la grippe dopées
Entre 2011 et 2014, les manipulations sur les virus mutants se sont accélérées. A l'origine : deux équipes de chercheurs qui travaillent en parallèle. D'un coté, celle de Ron Fouchier de l'université d'Amsterdam, et de l'autre celle de Yoshihiro Kawaoka de l'université du Wisconsin. Tout deux œuvrent à booster les virus de la grippe aviaire : H5N1 et H7N9. Alors qu'à l'époque ces virus n'étaient transmissibles que d'oiseaux à l'homme, les chercheurs les ont rendus contagieux d'homme à homme.
Ces grippes aviaires tuent 60% des personnes infectées et se répandent très facilement par la toux ou les éternuements. Selon les chercheurs, si ces virus surpuissants sortent des laboratoires, ils assurent une pandémie mondiale... H5N1, H7N9, H1N1 ou encore certains coronavirus, en tout six souches ont été modifiées génétiquement. Cependant, les mesures de sécurité mises en place empêchent normalement la dispersion de telles souches.
Pourquoi les développer ?
Malgré les scénarios-catastrophes qu'ils font craindre, les virus GOF ont tout de même l'avantage de faire avancer la recherche thérapeutique. Leurs créateurs mettent en avant leur intérêt dans l'élaboration de nouveaux vaccins, par exemple. Ils expliquent d'ailleurs que, si ces souches virulentes n'avaient pas été inventées par l'homme, la nature s'en serait probablement chargée un jour ou l'autre.
Les scientifiques mitigés
Ces arguments divisent la communauté scientifique... D'un coté, les "pour", qui défendent la recherche libre et fondamentale, et de l'autre les "contre", qui craignent une contamination à l'échelle mondiale. Ces derniers ont d'ores et déjà rédigés une lettre ouverte à la Commission européenne en décembre 2013, lui demandant de contrôler ces recherches risquées.
Une autre question majeure se pose : celle du bioterrorisme. Comme toute découverte scientifique, le protocole de fabrication de ces virus a été publié dans les revues Nature et Science. Et même si le matériel et les compétences requises pour de telles manipulations ne sont pas à la portée de tous, la méthode reste accessible. Utilisées à mauvais escient, ces souches menaçantes pourraient hypothétiquement représenter une arme biologique redoutable.
Sources :
- "Gain-of-Function Experiments on H7N9", Science 9 August 2013: Vol. 341 no. 6146 pp. 612-613, DOI: 10.1126/science.341.6146.612
- "The irrationality of GOF avian influenza virus research", Simon Wain-Hobson, July 2014, doi: 10.3389/fpubh.2014.00077
VOIR AUSSI :