Des chromosomes Y qui partent en fumée
La probabilité de détecter des cellules sanguines dépourvues de chromosome Y est environ trois fois plus importante chez les fumeurs que chez les non-fumeurs, révèle une étude suédoise publiée le 4 décembre dans la revue Science.
Dans le noyau de nos cellules, les chaînes d'ADN s'entortillent autour de protéines pour former les chromosomes. L'un d'eux est caractéristique des individus de sexe masculin : le chromosome Y. Parmi les nombreuses mutations qui peuvent survenir, bien après notre naissance, au cœur de certaines de nos cellules, l'une d'elles concerne la disparition pure et simple de ce chromosome.
La présence de quelques cellules sans chromosome Y dans l'organisme le menace-t-il ? Cela est très difficile à déterminer.
En avril 2014, une équipe suédoise, coordonnée par les professeurs Dumanski et Forsberg, montrait que les hommes chez qui l'on détectait de telles cellules présentaient un risque de mortalité accru (mortalité "toutes causes confondues" +17% au moins ; mortalité associée à des cancers non sanguins +56% au moins). Les mêmes chercheurs viennent de publier dans Science des travaux révélant que cette anomalie a trois fois plus de chances d'être détectée chez un fumeur que chez un non-fumeur. Leurs estimations découlent de mesures réalisées dans trois cohortes indépendantes de plusieurs milliers de personnes, ayant toutes trois abouti à des résultats analogues.
Absence ponctuelle du chromosme Y : un danger ?
Si ces observations étaient confirmées par d'autres chercheurs, les liens de cause à effet resteraient difficiles à établir.
Plusieurs molécules présentes dans le tabac et introduites par les fumeurs dans leur organisme sont des cancérogènes avérés. Les mutations qu'elles engendrent dans les chaînes d'ADN sont nombreuses, augmentant la probabilité d'entraîner un développement cellulaire non régulé. Les fumeurs ont plus de cancers, et présentent donc un risque accru de perte de chromosome Y dans certaines cellules(1). L'absence ponctuelle de chromosome Y favorise-t-elle certains cancers, ou n'est-elle qu'un marqueur indépendant du tabagisme ? Cette question ouvre la voie à de nouvelles recherches et, peut-être, à l'identification de nouveaux mécanismes biologiques méconnus.
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(1) Les données dont disposent les chercheurs suggèrent que la probabilité de détecter des cellules sans chromosome Y est corrélée à la consommation de tabac. En outre, il semble que l'effet observé soit "transitoire", c'est-à-dire que des personnes ayant diminué leur tabagisme ont un risque moindre de présenter de telles cellules que les grands fumeurs. Il est donc très vraisemblable que le tabagisme soit à l'origine de cette mutation.
Sources :
- Smoking is associated with mosaic loss of chromosome Y. J.P Dumanski, L.A. Forsberg et coll. Science, 4 dec. 2014. doi:10.1126/science.1262092
- Mosaic loss of chromosome Y in peripheral blood is associated with shorter survival and higher risk of cancer. L.A. Forsberg, J.P Dumanski et coll. Nature genetics, 28 avril 2014. doi:10.1038/ng.2966