En dépit de la gratuité du traitement, la lèpre poursuit sa progression
A l'occasion de la 60ème Journée mondiale des lépreux, retour sur une maladie qui continue à faire de très nombreuses victimes - plus de 200.000 nouveaux cas chaque année - malgré l'existence d'un traitement efficace et gratuit. Entretien avec le Pr Emmanuelle Cambau, de la Fondation Raoul-Follereau.
Maladie contagieuse à évolution très lente, causée par une mycobactérie, la lèpre s'attaque aux nerfs et muscles, et finit par provoquer paralysie et infirmités définitives des membres et des yeux si elle n'est pas traitée à temps.
La propagation de cette maladie n'est pas encore interrompue, soulignait récemment un rapport de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Chaque année, plus de 200.000 nouveaux cas sont ainsi déclarés de par le monde.
Pourtant, un traitement efficace existe. Mis au point dans les années 80, il est composé de trois antibiotiques et permet de tuer le bacille et guérir un malade en six à douze mois. Cette polychimiothérapie (PCT), mise gratuitement à disposition dans les pays pauvres par l'OMS depuis 1995, a déjà permis de traiter et de guérir 16 millions de malades.
"La lutte contre la lèpre s'est considérablement améliorée", explique-t-on à l'OMS. Cependant, "de nouveaux cas continuent de se produire dans pratiquement tous les pays d'endémie" avec des "poches" où la maladie est encore très présente.
La lèpre continue à se propager
"Depuis quatre ou cinq ans le nombre de nouveaux cas chaque année reste relativement stable avec plus de 200.000", souligne le Pr Cole qui dirige le Global Health Institute de l'Ecole polytechnique de Lausanne.
D'après les chiffres de l'OMS, 219.075 nouveaux cas de lèpre ont été dépistés en 2011, contre 228.474 en 2010 (-4%) et plus de 400.000 cas en 2004.
"L'OMS commence à se poser des questions. Ils nous ont dit pendant des années que si on continuait d'appliquer la PCT, l'incidence allait petit à petit atteindre zéro mais ce n'est pas le cas et cela nous préoccupe", déclare le Pr Cole qui préside la Commission médicale et scientifique de la Fondation Follereau.
Autre spécialiste de la lèpre, le médecin béninois Roch Christian Johnson souligne que la lèpre en Afrique demeure "endémique là où les systèmes de santé sont faibles avec des centres de santé éloignés de la population". Dans les régions reculées, le dépistage précoce est difficile, souligne-t-il. Résultat : 12.000 personnes sont diagnostiquées chaque année en phase avancée avec des séquelles irréversibles.
Le témoignage d'un soignant béninois, recueilli par l'AFP, est emblématique de cette situation : "[La lèpre est devenue] une maladie méconnue qui hélas n'intéresse plus beaucoup de soignants et qui pourrait revenir si on n'y prend pas garde. […] Nous [diagnostiquons aujourd'hui de très nombreux] cas multibacillaires, c'est à dire très contagieux, ce qui veut dire que dans 10 ou 20 ans nous découvrirons de nouveaux lépreux qui auront été contaminés aujourd'hui".
Les animaux, un réservoir longtemps ignoré de la lèpre
La persistance de la maladie dans certaines poches malgré l'efficacité des traitements pourrait s'expliquer par l'existence de réservoirs du bacille ailleurs que chez l'homme, en particulier chez certains animaux, selon le Pr Cole. Ses recherches ont permis de démontrer que certains tatous, un mammifère à carapace, étaient aux Etats-Unis porteur du bacille de la lèpre, ce qui pouvait expliquer certaines mystérieuses contaminations chez l'homme en Louisiane et au Texas.
Malgré un tableau assez sombre, l'OMS estime que les actuels efforts de lutte contre la maladie pourraient permettre d'interrompre sa propagation d'ici à la fin de la décennie. Son éradication, cependant, n'est pas à l'ordre du jour. Aucun vaccin efficace n'est encore disponible.
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