Faut-il fermer les petites maternités ?
Près de quatre mois après le drame survenu à la maternité d'Orthez (Pyrénées-Atlantiques), la Cour des comptes a relancé vendredi 23 janvier le débat sur le sort des petites structures, préconisant des contrôles renforcés et d'éventuelles fermetures. Treize établissements, autorisés de manière dérogatoire à réaliser moins de 300 accouchements par an, sont particulièrement visés.
Sollicités par la commission des Affaires sociales du Sénat, les sages de la rue Cambon se sont penchés sur la situation des maternités en France, dans un rapport rendu public le 23 janvier.
Leur constat est sans appel : plus que "nécessaire", une "nouvelle phase de réorganisation" du réseau des maternités est "inévitable".
Traduction : de nouvelles fermetures sont à prévoir, les difficultés financières ou de recrutement rencontrées par certains établissements menaçant la sécurité des patientes.
Depuis les années 1970, la tendance est à la fermeture des petites maternités en raison d'une politique de réduction des coûts et des risques. Cette politique s'est matérialisée en 1998 par des décrets fixant à 300 accouchements par an le seuil minimal d'activité pour les maternités.
Ainsi, les deux tiers des établissements ont fermé depuis 1972, rappelle la Cour des comptes, qui en recensait 544 en 2012. Mais "un nombre significatif de petites maternités a été maintenu".
Dans sa ligne de mire, 13 petites structures réalisant moins de 300 accouchements par an, notamment à Die (Drôme) - 177 accouchements en 2013, la plus faible activité enregistrée en France - ou à Ussel (Corrèze), où il est signalé "des risques avérés en matière de sécurité" (voir notre infographie).
"Déserts médicaux"
La France enregistre des "résultats médiocres" en matière de périnatalité, occupant le 17e rang européen pour la mortalité néonatale (dans les 27 jours suivant la naissance), avec un taux de 2,3 pour 1.000.
La Cour préconise de "contrôler la sécurité du fonctionnement des maternités" réalisant moins de 300 accouchements par an et de "les fermer sans délai en cas d'absence de mise en conformité immédiate", sans attendre la survenue d'un drame comme à Orthez, où la mort d'une patiente en octobre a accéléré la fermeture de la maternité, déjà menacée en raison d'un manque de personnel.
Dans les maternités visées, on peine à comprendre les inquiétudes soulevées par le rapport.
Ainsi, Jean-Luc Davigo, directeur du Centre hospitalier d'Ussel, assure que sa maternité est "un établissement sérieux" qui n'est pas remis en cause. "Une collaboration se met d'ailleurs en place avec le centre hospitalier de Tulle en pédiatrie et gynécologie-obstétrique afin que notre organisation soit optimale", précise-t-il.
Le maire de Die, Gilbert Tremolet, juge la norme de 300 accouchements par an "subjective". "Nous sommes autour de 140 à 150 accouchements par an. Cela dure depuis des décennies et rien de grave ne se passe".
"Nous avons des patientes qui viennent de Valdrôme ou de Saint-Dizier-en-Diois qui sont l'hiver déjà à 2 heures de route de Die. Si elles devaient mettre une heure et demi de plus pour rejoindre Valence [hôpital le plus proche, NDLR], alors là oui, il y aurait danger", fait-il valoir.
De fait, les défenseurs des petites maternités redoutent l'extension des déserts médicaux, synonyme, selon eux, de danger pour les patientes et leur bébé.
L'association Osez le féminisme rappelle ainsi qu'une femme a perdu son nouveau-né fin 2012 "en accouchant sur l'autoroute A20, faute de parvenir à temps à la maternité de Brive, en Corrèze". La "sécurité ne doit pas se payer au prix de déserts médicaux et d'usines à bébés promus par une vision ultra-libérale des dépenses de santé", ajoute l'association dans un communiqué.
Pour le principal syndicat de gynécologues obstétriciens, le vrai problème réside dans la pénurie de personnel qualifié.
Quelque "200 obstétriciens sont formés chaque année en France, et la moitié abandonne finalement l'obstétrique" parce que c'est "pénible, risqué" et cela représente beaucoup de responsabilités", dénonce le Dr Jean Marty, président du syndicat national des gynécologues obstétriciens de France.
"Les sous-effectifs, c'est aussi valable dans les grosses maternités" renchérit Nicolas Dutriaux, du Collège national des sages-femmes, qui dénonce les risques de burn-out dans des maternités surchargées et dont la suractivité n'est pas étrangère, selon lui, aux quelque 70 décès enregistrés en couches chaque année.
Dans son rapport, la Cour des comptes note que deux autres maternités ont eu, en 2013, une activité "proche du seuil [critique de 300 accouchements par an]" : le CH de Millau (301 accouchements) et le CH de Langres (304 accouchements). La maternité de Millau est voisine de celle de Saint-Affrique, qui fait partie de la liste des 13 établissements dans le collimateur de la Cour.