La combinaison qui donne un coup de vieux
Une combinaison simulatrice de vieillesse qui reproduit les sensations physiques du grand âge. C'est l'idée étonnante qu'a eu une physicienne allemande. Avec la ferme intention de sensibiliser les Allemands en général, et les jeunes médecins en particulier, aux questions liées au vieillissement de la population. En France, ce genre d'équipement visant à simuler la vieillesse est déjà expérimenté dans certaines maisons de retraite.
Lorsqu'on est jeune et fringant, pas facile de se mettre à la place d'une personne âgée et de devoir composer avec un corps diminué et capricieux. Difficulté à se baisser pour ramasser un objet, impression que l'on va vaciller à chaque pas, mains malhabiles et doigts raides, articulations douloureuses… La "panoplie" du grand âge est bien connue. Tout du moins en théorie. Mais ça, c'était avant.
La vieillesse, comme si vous y étiez
Rahel Eckardt, physicienne au Centre gériatrique évangélique de Berlin, a conçu une combinaison qui fait passer celui qui l'essaie de la théorie à la pratique. Essayez-la, et vous aurez tout de suite une idée assez précise de ce que cela fait… d'être (très) vieux. Tout l'équipement y est : bouchons d'oreilles qui étouffent les sons, viseur jaune qui brouille la vue et empêche de distinguer correctement les couleurs, coussinets qui raidissent les genoux et les coudes… Ajoutez un gilet qui oppresse la poitrine et des gants rembourrés qui rendent l'utilisation des mains plus que compliquée, et le tableau est complet.
Les mouvements les plus simples deviennent difficiles : monter des escalier est épuisant et sortir un comprimé d'un blister, carrément mission impossible. Bienvenue dans le troisième âge.
Générer l'intérêt des étudiants en médecine
Si Rahel Eckardt a pensé et développé cette combinaison infernale, ce n'est certainement pas par sadisme. Mais pour sensibiliser les futurs médecins aux besoins médico-sociaux de la population qui sera de plus en plus importante dans une société allemande vieillissante : en 2030, plus de 26 % de la population aura en effet plus de 65 ans.
En "enfermant" les étudiants dans la combinaison, la physicienne a voulu développer leur empathie. Parce qu'il y a, selon elle, un problème de taille, voire deux : une déconnection entre une grande partie des médecins et leurs patients les plus âgés, additionnée à un cruel manque de vocations des étudiants en médecine pour la gériatrie.
"Mieux qu'une présentation Power Point, c'est le meilleur moyen de leur donner une idée précise de ce que c'est que d'être âgé, c'est-à-dire d'avoir plus de 75 ans", a déclaré Rahel Eckardt au journal The Gardian. "Une fois leur empathie acquise, il est plus facile de rallier les étudiants à la cause des patients âgés. Ainsi, peut-être choisiront-ils la gériatrie, qui souffre d'un manque de reconnaissance, comparativement à des spécialités considérées comme plus excitantes".
Et ça marche ? En tout cas, Elisabeth, jeune étudiante en médecine de 22 ans, a retenu la leçon que lui a donné l'essayage de la "combinaison-qui-fait-se-sentir-vieux". Et semble disposée à s'intéresser de plus près à la médecine gériatrique, bien que moins prestigieuse. "La gériatrie est une spécialité relativement nouvelle, qui n'a pas le statut de la chirurgie, par exemple", a-t-elle déclaré au quotidien anglais. "Mais elle implique une grande variété de maladies, pas seulement l'arthrose et la démence ! C'est ce qui la rend très intéressante. Mais il faut que les médecins développent d'autres compétences, des compétences sociales", a-t-elle souligné à juste titre.
Toute une société à sensibiliser
Le centre gériatrique berlinois a conçu la combinaison avec l'institut Meyer-Hentschel de Sarrebruck, qui soutient la recherche de produits "seniors-friendly" pour les plus de 60 ans. L'institut utilise la combinaison dans d'autres domaines, par exemple l'industrie des appareils électroménagers. Il espère sensibiliser toute une société qui n'a pas fait grand-chose pour se préparer à une situation démographique explosive.
L'expérience française
Pour mieux sensibiliser leur personnel, certains établissements pour personnes âgées en France ont déjà recours à un simulateur de vieillesse, d'un genre semblable à celui imaginé par la physicienne allemande. Une ceinture pour gêner les mouvements, des lunettes opaques pour troubler la vision, un casque sur les oreilles pour la surdité, des gants pour amoindrir l'agilité ou encore des genouillères pour feindre l'arthrose... Quinze kilos d'accessoires qui permettent de mesurer le handicap des personnes âgées dans leurs gestes quotidiens et toutes les douleurs et pesanteurs auxquelles ils sont confrontés.
En savoir plus
- The Guardian
- "Suit lets medical students experience symptoms of old age", Kate Connolly, 9 juillet 2012
- Allodocteurs.fr
- Simulateur de vieillesse : dans la peau des personnes âgées
- Centenaires, des exemples de longévité
- Grand âge : la doyenne de l'humanité est française
- Existe-il des moyens pour éviter le vieillissement naturel ?
- Une lycéenne plaide pour la dignité de nos « vieux »
- Personnes âgées : plus fragiles encore à l'hôpital