La dépression sous-diagnostiquée lors d'un cancer
Les patients atteints de cancer sont davantage touchés par la dépression à en croire une étude britannique, qui montre de surcroît que la dépression est sous-diagnostiquée dans trois-quarts des cas. Quelles sont les raisons de ce sous-diagnostic ? Et surtout comment y remédier ?
Trois-quarts des dépressions non diagnostiquées
Le risque de dépression est plus élevé chez les patients atteints de cancers que dans la population générale. C'est ce que montre une étude, dirigée par Pr Jane Walker de l'université d'Oxford et portant sur 21.000 patients souffrant d'un cancer. Elle a ainsi établi que 5,6% des patients (traités pour des cancers génito-urinaires) souffrent de dépression ; ce nombre passe à 13,1 % dans le cas d'un cancer du poumon, alors qu'il n'est que de 2 % dans la population générale.
Rien de vraiment surprenant jusque-là puisque le cancer reste une épreuve majeure à traverser... mais le résultat le devient lorsque l'on apprend quetrois-quarts des patients dépressifs n'étaient pas diagnostiqués comme tels avant l'étude !
Ce sous-diagnostic ne se limite pas à la Grande-Bretagne où a été réalisée l'étude. "Elle est également sous-estimée en France, confirme la psychologue, Diane Boinon à l'Institut de cancérologie Gustave-Roussy. Les résultats de l'enquête nationale sur l'organisation des soins psychiques en cancérologie, menée en 2012 par la Société Française de Pharmacie Oncologique (SFPO), montrent une absence d'offre de soins psychiques dans au moins un établissement sur cinq et soulignent la grande disparité de l'offre sur le territoire national."
Comment expliquer ce sous-diagnostic de la dépression ?
Plusieurs facteurs concourent à cet état de fait, aussi bien du côté des médecins que de celui des patients. "Les soignants ont de moins en moins de temps et ont des consultations trop chargées, relève Diane Boinon. Cela ne favorise pas un temps dédié à la question 'comment va le moral ?' et à l'accueil de la réponse", selon la psychologue. Autre argument, le manque de formation. "Les soignants ont parfois peur de ne pas savoir ou de ne pas pouvoir répondre à l'expression d'une souffrance, ajoute-t-elle. Il est donc nécessaire de former au mieux les équipes soignantes et médicales au repérage de la dépression et aux différentes réponses possibles."
Il y a également un chevauchement des symptômes (ralentissement psychomoteur, fatigue, troubles du sommeil) qui se confondent avec des manifestations de la maladie cancéreuse ou des effets secondaires des chimiothérapies. Ce qui ne simplifie pas le diagnostic de la dépression. "De plus, il peut y avoir parfois une rationalisation du trouble (c'est normal d'être déprimé dans ces cas-là) et donc une banalisation de l'affection, explique-t-elle également. On sous-estime la dépression, qui est pourtant une réelle maladie à traiter."
Du côté du patient, les symptômes dépressifs apparaissent peu exprimés pour plusieurs raisons. Diane Boinon détaille ainsi que "dans la dépression, le repli sur soi, le sentiment d'inutilité, le vécu de honte, la répression émotionnelle ne conduisent pas forcément les patients à solliciter spontanément l'aide d'autrui et les amènent à penser que la situation ne changera pas, même s'ils en parlent." De surcroît, les patients estiment parfois que leur dépression n'est pas du ressort du cancérologue. "Ils peuvent également avoir peur de reconnaître leur dépression alors qu'ils ont déjà un cancer, termine-t-elle, c'est la peur d'être en fait dans une double pathologie.
Un traitement optimisé...
Dans l'étude du Pr Walker, 73% des patients ne reçoivent pas un traitement adapté. Les recommandations conseillent une prise en charge associant médicaments et psychothérapie, ce qui optimise l'efficacité au long cours et évite la rechute de la dépression.
Comment améliorer le dépistage de la dépression ?
D'après Diane Boinon, il y a des situations à risque et des patients plus vulnérables, avec des facteurs prédictifs de dépression qu'il faut connaître et savoir reconnaître.
"On sait que les facteurs psycho-sociaux comme le jeune âge, l'isolement social, la perception d'un manque de soutien des proches, les antécédents psychiatriques ou les facteurs liés à la maladie (la présence de symptômes physiques non contrôlés, tels que la douleur ; un cancer à un stade avancé ou métastatique ; les phases critiques d'annonce d'une récidive ou l'entrée en phase palliative,...) augmentent le risque de dépression", explique-t-elle. Estimant qu'il est important que l'ensemble de la chaîne de soins (médecins, soignants et psys) témoigne d'une disponibilité et d'une écoute à la souffrance psychologique du patient et qu'elle ne soit pas confiée seulement au psychologue.
"Nous devons aussi être attentifs aux changement de comportement du patient dans son quotidien (il ne répond plus au téléphone, il est très irritable alors qu'il ne l'est pas habituellement…), ajoute-t-elle. Les les proches ont également un rôle à jouer, puisqu'ils sont une source d'information très importante.
Enfin, "la prise en charge doit être globale, humaine, quel que soit le soignant concerné. Chacun doit s'occuper de la souffrance psychique du patient en l'identifiant, la reconnaissant et en orientant vers le psychiatre ou le psychologue si besoin. La prise en charge psychologique s'intègre dans la prise en charge globale du patient", conclut-elle.
Etude source : Prevalence, associations, and adequacy of treatment of major depression in patients with cancer: a cross-sectional analysis of routinely collected clinical data. Jane Walker PhD. The Lancet Psychiatry, August 28th. doi:10.1016/S2215-0366(14)70313-X
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