La dispersion du VIH a débuté à Kinshasa dans les années 1920
En analysant les différences génétiques entre de nombreux échantillons de VIH, des biologistes ont pu remonter l'histoire de ses mutations. Couplant ces données à de nombreux paramètres historiques et économiques, les chercheurs avancent que la transmission du virus du singe à l'homme serait survenue dans la brousse congolaise, durant la période coloniale. L'expansion urbaine de Léopoldville (devenue capitale de Congo belge en 1929, aujourd'hui Kinshasa) aurait entraîné la dispersion de la maladie dans toute l'Afrique subsaharienne.
En 2000, une analyse fine du nombre de mutations séparant le VIH du VIS (virus de l'immunodéficience existant chez le singe) avait permis d'estimer l'apparition de la première souche ayant pu contaminer l'homme "entre 1915 et 41".
De nouveaux travaux, publiés ce 2 octobre 2014 dans la prestigieuse revue Science, viennent d'affiner notre connaissance de l'histoire de la pandémie. Selon des analyses encore plus poussées, l'histoire de la propagation du sida a "très probablement" débuté à Léopoldville (l'actuelle Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo) dans les années 20.
Les virologues savent que des versions mutées du VIS ont infecté l'homme plusieurs fois au cours du vingtième siècle. L'une d'elle, connue sous le nom de "souche M", est à l'origine de la pandémie contre laquelle le monde se bat encore aujourd'hui.
Lorsque le virus a été identifié, en 1981, les foyers d'infections étaient déjà nombreux en Afrique subsaharienne.
"Pour la première fois, nous avons analysé toutes les données [génétiques et historiques] disponibles […] pour estimer statistiquement l'origine du virus", explique le professeur Oliver Pybus du département de zoologie d'Oxford, l'un des principaux auteurs de l'étude.
"Nous pouvons ainsi dire avec un degré élevé de certitude d'où et quand la pandémie est partie", a-t-il dit.
Durant les années 1960
"Les changements qui se sont produits [dans la société] au moment de l'indépendance du Congo en 1960 ont fait que le virus a pu s'échapper de petits groupes de personnes séropositives pour infecter des populations plus étendues, avant de se propager dans le monde [à la fin des années 70], explique Nuno Faria, co-auteur des recherches, dans un communiqué accompagnant la publication.
Dans un contexte d'urbanisation rapide, certains changements dans les attitudes sociales, notamment parmi les travailleurs du sexe, ainsi qu'un plus grand accès aux seringues que se partageaient les toxicomanes, dont certains étaient infectés, ont accéléré la propagation du virus.
Dans les années 1950
L'analyse des mutations génétiques révèlent "que le virus VIH s'est propagé très rapidement à travers le Congo, d'une superficie équivalente à l'Europe de l'Ouest, se déplaçant avec des personnes par les chemins de fer et les voies d'eau", souligne Nuno Faria. "Les informations des archives coloniales indiquent qu'à la fin des années 40 plus d'un million de personnes transitaient par [l'actuelle] Kinshasa par le train chaque année".
Léopoldville était, de la fin des années 30 au début des années 50 une des villes les mieux desservies de toute l'Afrique centrale, une véritable plaque tournante de voyageurs et de biens.
Deux des principaux foyers secondaires de l'infection (Mbuji-Mayi et Lubumbashi dans l'extrême Sud et Kisangani dans le Nord), identifiés là encore par la génétique, étaient facilement accessibles depuis Léopoldville. Ces villes étaient situées, selon les chercheurs, dans des régions disposant de bons réseaux de communication avec des pays du sud et de l'est de l'Afrique.
En conclusion de leur étude, les scientifiques considèrent comme très probable que "la transmission initiale du virus de l'animal à l'homme [ait pour origine] la chasse et la consommation de viande de brousse". Par suite, les mutations socio-économiques survenues en Afrique centrale durant la fin de la période coloniale ont permis au VIH de se disséminer sur de vastes distances, devant conduire – à ce jour – à près de 75 millions d'infections et 36 millions de décès.
Source : The early spread and epidemic ignition of HIV-1 in human populations. N.R. Faria, O.G. Pybus, P. Lemey et coll. Science, 3 oct. 2014 doi : 10.1126/science.1256739