Médicaments dangereux : le Pr. Even répond aux critiques
Médicaments inutiles, dangereux. Dans leur dernier ouvrage, "Le guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles, ou dangereux", les Pr. Philippe Even et Bernard Debré lancent une nouvelle charge contre l'industrie pharmaceutique. Un ouvrage accueilli par de nombreuses critiques dans le milieu médical. Le Pr.Even répond à la polémique.
- Votre ouvrage a été accueilli par de nombreuses critiques. En particulier sur le chiffre d'un médicament sur deux inutile ou dangereux. N’est-il pas surestimé ?
Pr. Philippe Even : "Je maintiens ce chiffre et je précise. Dans les médicaments inutiles, il y a deux catégories : les médicaments inefficaces, ceux qui n'ont aucune action thérapeutique démontrée, cela correspond à 25-30 % du groupe. Le reste sont des médicaments mal prescrits et surprescrits.
"Les mal prescrits sont donnés à des patients qui n'en n'ont pas besoin, mais efficaces par ailleurs. Exemple majeur : les statines et les hypertenseurs. Les hypertenseurs sont très utiles - sur la véritable hypertension artérielle (pression supérieure ou égale à 15), mais inutiles dans les pré-hypertension, c'est-à-dire pour des pressions artérielles entre 13 et 14,9.
"Pour les statines c'est encore plus caricatural. Ces médicaments sont très efficaces pour faire tomber le cholestérol, mais cela ne sert à rien de faire tomber le cholestérol car les statines ne changent pas la mortalité et ne font pas tomber les risques d'infarctus. C'est pour cette raison que je dis qu'ils sont inutiles.
"Le marché des statines en France représente 2 milliards d'euros et à mon avis, c'est de l'argent jeté par les fenêtres alors qu'on en a besoin ailleurs. Je rappelle d'ailleurs que l'Angleterre n'a jamais remboursé les statines. Je ne suis pas le seul à penser cela, Michel de Lorgeril chercheur au CNRS à Grenoble est un des premiers à avoir dénoncé l'utilisation massive des statines en France.
"Toujours dans la catégorie des médicaments mal prescrits, je classe les médicaments efficaces, mais pour lesquels on dispose des équivalents meilleurs, car plus efficaces et moins dangereux. On a des exemples très frappants avec les traitements du diabète.
"Le traitement de première ligne est la Metformine, un traitement découvert en 1959. Son prix actuel de vente est de 1 dixième d'euro par jour, en plus la Metformine est largement génériquée donc ça ne rapporte plus rien. Or le nombre de diabétiques a quadruplé en France depuis 10-15 ans. L'industrie pharmaceutique a sorti environ huit molécules qui ont trois caractéristiques principales : elles sont moins efficaces, elles ont des dangers majeurs et sont vendues dix fois plus chers. Ce sont des médicaments à interdire ! D’ailleurs l'Avandia et l’'Actos ont déjà été retirés."
- Mais comment êtes-vous parvenus au chiffre d'un médicament sur deux inutile ou dangereux ?
Pr. Philippe Even :"C'est très simple. J'ai fait comme toutes les agences de sécurité sanitaire. J'ai calculé le nombre de médicaments présents sur le marché, je les ai analysés un par un, ensuite je les ai classés par ordre d'efficacité, et c’est ainsi que j'ai pu établir les pourcentages indiqués dans notre ouvrage."
- Le coût de ce gaspillage, vous l'estimez de 10 à15 milliards d'euros. Mais quel potentiel d'économies pourrait réaliser l'Assurance-maladie si elle reprend à son compte vos chiffres ?
Pr. Philippe Even :"Exactement cela : 10 à 15 milliards d'euros. Et je rappelle que le déficit de l'Assurance-maladie c'est 8,6 milliards, donc ça pourrait le combler. Ces économies sont un objectif, je sais bien que cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais sachez que l'industrie pharmaceutique est l'une des plus lucratives. Ni les banques ni le pétrole ni l'informatique ne font autant de profit. Cela devrait interpeller les Français ! Est-ce moral et éthique que l'industrie qui rapporte le plus soit une industrie de santé ? Moi je ne le crois pas !"
- Des pharmacologues et des médecins ont émis des réserves sur certains médicaments présentés comme inutiles ou dangereux. Si on part du principe que tous les médicaments peuvent avoir des effets secondaires, parfois différents en fonction du patient, n'est-ce pas au médecin d’évaluer quels médicaments il peut prescrire ou non ?
Pr. Philippe Even : "Evidemment, j'en suis convaincu. Simplement, pour cela, les médecins doivent être formés différemment. On leur apprend leur métier à l'hôpital, ils sont formés au maniement des médicaments lourds pour des maladies graves.
"Il faudrait les former davantage à la thérapeutique pour les maladies de terrain, c'est-à-dire, apprendre aux médecins où s'informer, leur apprendre à avoir une lecture critique, à décoder les articles scientifiques d'autant qu'ils sont nombreux à être écrits par l'industrie pharmaceutique ou ses affidés. C'est un métier d'apprendre à lire ces articles. D'après moi, ça devrait être la priorité de l'enseignement.
"Et puis j'irai encore plus loin : la médecine doit être écrite par les malades, pas par les médecins. Si on n'écoute pas plus les malades, si les médecins ne se regroupent pas pour parler de leurs cas, il n'y a pas de pharmacovigilance. Cela suppose qu'il y a de la part du médecin une volonté d'écouter, de recenser, de chercher, de comprendre, c’est comme ça qu'on écrit la médecine !"
- Ce livre sort alors même que les autorités sanitaires ont amorcé une réorganisation. N'avez-vous pas l'impression que le ménage est en train d'être fait dans le monde du médicament ?
Pr. Philippe Even :"C'est exactement cela, une amorce de changement. En tout cas, ce qui a été fait par Xavier Bertrand et ce que tente de faire M. Maraninchi, qui est un homme d'une grande qualité, va dans la bonne direction. Le problème est qu'on lui laisse les coudées franches. Cela fait 40 ans que ça dérive : 40 ans de laxisme, d'incompétence, de connivence avec l'industrie, ça ne va pas se régler en trois mois. Mais c'est vrai que ça va plutôt dans la bonne direction."
Propos recueillis par Dominique Tchimbakala
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- "Le guide des médicaments utiles, inutiles... ou dangereux", 12 septembre 2012.