Mohamed Merah : pouvait-on publier son expertise psychologique ?
Le site lepoint.fr vient de rendre public le rapport d'expertise psychologique du tueur toulousain, rédigé en 2008. Au-delà de l'intérêt de mieux connaître la vie de Mohamed Merah, peut-on rendre publique une expertise psychologique ? Car la publication de ce genre d'informations médicales et judiciaires est soumise à des règles strictes que doivent normalement respecter experts et avocats.
Qui était Mohamed Merah ? Quel était son profil psychologique ? Le rapport effectué par le psychologue Alain Penin dévoile sa biographie détaillée, de sa petite enfance jusqu'à ses 20 ans, ses antécédents judiciaires, et ses principaux traits de caractères. Il donne aussi des informations plus intimes. On y apprend ainsi, au fil des pages, que "sur le plan affectif et relationnel, il est toujours resté célibataire", qu'il a fait un séjour en hôpital psychiatrique suite à "une décompensation liée à une tentative suicidaire" ou que "sa vie sexuelle a commencé il y a quelques temps, sous la forme d'une relation unique".
Après la tuerie de Toulouse, la publication par lepoint.fr de l'intégralité du rapport d'expertise psychologique du tueur, disponible en un clic, apparait donc comme une information qui pourrait permettre de mieux cerner le personnage. Mais au-delà des conclusions qui pourront en être tirées se posent des questions juridiques - la loi permet-elle de publier ce rapport ? - et médicales car l'expertise a été réalisée en 2008 à la maison d'arrêt de Seysses, alors que le tueur n'était encore qu'un délinquant ordinaire : est-elle toujours "valable" ? Et dans quelles mesures les informations qu'elle contient peuvent-elles être divulguées, et à qui ? Pour répondre à ces questions, il faut d'abord revenir sur ce qui avait motivé cette demande d'expertise.
Naissance, vie et devenir d'un rapport d'expertise
"Pour des faits de violence, comme celui qu'avait commis à l'époque Mohammed Merah en arrachant le sac d'une femme, le juge peut demander une expertise par un psychologue ou un psychiatre, s'il s'estime insuffisamment informé", explique Maître Karine Laprevotte, avocate à la Cour de Nancy. Cet examen, auquel le prévenu peut refuser de se soumettre, vise à évaluer sa dangerosité, ou à savoir si son discernement est aboli. "Le but est de recueillir des éléments qui permettront une personnalisation de la peine", précise l'avocate.
Le rapport, qui fait partie intégrante du dossier judiciaire, est destiné au Parquet (Ministère public), au Tribunal, à l'avocat de la défense et éventuellement à celui de la partie civile. Après le procès, il peut être transféré au juge d'application des peines, pour une éventuelle adaptation de la peine.
Secrets professionnels transgressés
Secret de l'enquête, secret de l'instruction… les informations sur une affaire en cours sont censées être "verrouillées". Mais la justice et la presse se nourrissent l'une de l'autre et les "fuites" sont monnaie courante. Comment ce rapport est-il "sorti" ? Impossible de le dire. "En tous cas, les journalistes ne peuvent pas avoir accès à ce genre de rapport sur simple présentation de leur carte de presse", ironise maître Laprevotte. Les avocats sont en effet tenus au secret professionnel, véritable "pierre angulaire de la déontologie de la profession" qui prévoit que l'avocat ne puisse rendre public un rapport d'expertise sans l'accord de son client.
Du moins, jusqu'au procès : "Il existe la notion de publicité des débats dans la justice. Concrètement, les audiences sont publiques, et le juge peut être amené à y lire des extraits du rapport. Les journalistes peuvent tout à fait y assister et publier ce que bon leur semble", ajoute-t-elle.
Mais dans le cas de Mohamed Merah, le procès, justement, ne s'est jamais tenu. "Il y a eu divulgation d'informations sous-scellés", explique le Pr. Christian Hervé, directeur du Laboratoire d'éthique médicale et de médecine légale de Paris-Descartes. "Le secret professionnel, auquel sont tenus les psychologues, médecins et hommes de justice, a été transgressé de manière évidente. Il doit être respecté, que l'accusé soit mort ou vivant". Seule exception admise à cette règle : lorsqu'un ayant droit estime que ces informations confidentielles doivent être divulguées pour réhabiliter l'image du défunt. "Nous ne sommes évidemment pas dans ce cas de figure", rappelle Christian Hervé.
Un "non-sens" informatif
Au delà de la question déontologique, celle qui se pose aussi est celle de la pertinence de ce genre d'information. Le rapport date de 2008, et a été fait dans des circonstances qui sont à mille lieues de celles de la tuerie de Toulouse. "Cela relève du non-sens informatif", estime l'avocate.
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