Sida : modifier les cellules immunitaires pour empêcher l'infection
En injectant des cellules immunitaires modifiées pour être résistantes au VIH dans l'organisme de patients séropositifs (qui ont, pour les besoins de l'expérience, interrompu leur traitement habituel), des chercheurs nord-américains sont parvenus à freiner quelques mois la propagation de l'infection virale. Ces travaux, publiés le 5 mars 2014, dans le New England Journal of Medicine, démontrent que des cellules génétiquement modifiées sont bien tolérées a moyen terme par l'organisme humain. Un tout premier pas vers le développement d'une thérapie génique ?
Chez 1% de la population mondiale, le chemin normalement emprunté par le VIH pour infecter les cellules immunitaires est impraticable. Pour être ainsi immunisé à l'infection, il faut avoir hérité de ses deux parents d'une très discrète mutation génétique, qui code le profil de ce petit canal qui perce la membrane de certaines cellules.
En 2007, Timothy Brown, patient séropositif, avait bénéficié d'une greffe de moelle osseuse d’un donneur porteur de cette mutation génétique (l’objectif était de traiter une leucémie). Depuis qu'il a arrêté son traitement antirétroviral(1), peu de temps après son opération, le VIH n'a jamais repris le dessus.
Malheureusement, une telle opération a des effets secondaires lourds (Timothy Brown souffre ainsi de leuco-encéphalopathie), et nécessite la prise de médicaments anti-rejets. Cet exploit médical ne peut donc, en aucun cas, devenir un traitement courant du sida.
Vers une thérapie génique du sida ?
Toutefois, de nombreux chercheurs réfléchissent aujourd’hui à différents moyens permettant de reprogrammer notre système immunitaire. Il s'agirait de remplacer des fragments du code génétique de certaines cellules de la moelle osseuse, celles-là même qui produisent nos défenses immunitaires, assurant à ces dernières une résistance au VIH.
De telles thérapies géniques sont encore bien loin de voir le jour. Mais des scientifiques nord-américains viennent de réaliser une expérience qui constitue un tout premier pas dans cette voie.
Les médecins ont provoqué, dans leurs éprouvettes, la mutation du code génétique de grandes quantités de cellules immunitaires, leur conférant la fameuse résistance au VIH. Ces cellules ont ensuite été injectées à six patients traités par antirétroviraux. Quatre semaines plus tard, ils ont volontairement interrompu leur traitement.
La quantité de virus dans leur sang a été comparée à celle de six patients "témoins" (ayant également interrompu le traitement, mais sans recevoir d'injection préalable). Durant les douze semaines de l'expérience, la progression de l'infection s'est avérée très considérablement ralentie chez les patients ayant reçu les cellules génétiquement modifiées(2).
Cette première étude clinique a démontré que la présence des cellules immunitaires porteuses de la mutation est bien tolérée par l'organisme d’un individu n’ayant pas naturellement cette mutation. Elle révèle aussi que ces cellules "étrangères" survivent suffisamment longtemps dans le corps humain pour contribuer à "l'effort de guerre" contre l'infection.
L'injection de cellules immunitaires génétiquement modifiées ne peut constituer une thérapie anti-HIV en soi. Mais si les résultats des chercheurs nord-américains venaient à être confirmés, ils permettraient d'espérer que la piste de la thérapie génique ne soit pas un cul-de-sac.
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(1) Il empêche le développement du virus, et rend celui-ci indétectable dans le sang après plusieurs mois de traitement, et tant que celui-ci est poursuivi.
(2) A noter qu'au terme de cette courte expérience, le VIH restait indétectable chez l'un des six patients ayant bénéficié de l’injection. Sa particularité : son code génétique. L'un de ses parents lui a en effet transmis le gène rendant impossible l'infection. Malheureusement, il faut deux copies du gène (et donc avoir reçu le gène de ses deux parents) pour que l'infection soit impossible.
Source : Gene Editing of CCR5 in Autologous CD4 T Cells of Persons Infected with HIV, N Engl J Med 2014; 370:901-910, March 6, 2014, DOI: 10.1056/NEJMoa1300662