Une méthode révolutionnaire pour produire des cellules souches
Une jeune biologiste japonaise a présenté une méthode inédite, d'une déconcertante simplicité, pour produire des cellules souches à partir de cellules adultes. Le processus, plus rapide et plus efficace que celui découvert en 2006 (et récompensé en 2012 par un prix Nobel) consiste à plonger la cellule adulte… dans un bain d'acide dilué. Si elle était confirmée, cette découverte – décrite ce 30 janvier dans la prestigieuse revue Nature – pourrait révolutionner la biologie et la médecine.
Le prix Nobel 2012 avait été décerné au japonais Shinya Yamanaka et au britannique John Gurdon pour leur découverte, en 2006, d'une méthode permettant de reprogrammer des cellules d’un organisme adulte en cellules souches susceptibles de régénérer tous les tissus de l’organisme (cellules souches pluripotentes).
Le Japon se verra-t-il prochainement honoré d’un nouveau prix Nobel de médecine, en lien avec ces cellules, analogues à celles d’un jeune embryon ? Si les données rapportées par l’équipe du professeur Haruko Obokata dans le dernier numéro de Nature s’avèrent exactes, le centre de biologie développementale RIKEN de Kobe peut déjà mettre le champagne au frais…
Les expériences d’Obokata révèlent, en effet, un fait proprement révolutionnaire : exposer une cellule à un stress continu en laboratoire (par exemple, en la plongeant dans une solution de pH faible) produit des cellules "encore plus malléables que les cellules souches pluripotentes induites", "plus rapidement, et plus efficacement".
Une découverte fortuite
Il y a près de six ans, Haruko Obokata, jeune biologiste du centre Riken, mène une expérience de routine au cours de laquelle elle doit aspirer des cellules à l’aide des tubes très fins – ce qui a pour effet de les comprimer. Elle observe alors que quelques-unes des cellules collectées ont une taille plus faible qu’initialement. Une taille similaire à celle d’une cellule souche…
Etonnée, elle essaie de soumettre des cellules à différents types de contraintes : chaleur élevée, absence de milieu nutritif, environnement riche en calcium, compression physique, mise en présence d’une toxine bactérienne (qui perfore la membrane cellulaire), et plongée dans un bain acide…
Une conjonction des trois dernières méthodes s’est avérée efficace pour faire régresser les cellules à un stade de développement antérieur.
Il faudra en réalité cinq années à Obokata pour affiner la méthode… et convaincre ses collègues que celle-ci fonctionne.
"Tout le monde était persuadé que ces cellules étaient un artefact expérimental", explique Haruko Obokata à la revue Science. La scientifique passe tout d’abord pour une laborantine incompétente, puis est soupçonnée – à mots à peine voilés – d’être une fieffée menteuse.
Une souris verte...
Certains chercheurs du centre Riken veulent bien admettre qu’Obokata a découvert une méthode pour faire régresser des cellules adultes "à un état antérieur de différenciation", mais doutent que les produits de l’expérience soient d’authentiques cellules souches pluripotentes.
Comme le relate la revue Science, Obokota a donc proposé une expérience consistant à ajouter un composé fluorescent à ces "cellules souches", puis à injecter celles-ci dans de nombreux embryons de souris. Le résultat ne fut pas vraiment probant, les embryons de souris n’étant que vaguement fluorescents.
Le professeur Teryhiko Wakayama, spécialiste du clonage et responsable de la production des embryons livrés à Obokota, contempla ce qu’il considérait être un gâchis prévisible. Il suggéra toutefois à la scientifique de réiterer une dernière fois l’expérience en soumettant à sa triple contrainte non plus des cellules de souris adultes, mais des cellules prélevées sur des souriceaux nouveau-nés.
Le résultat fut ici sans appel : les embryons ainsi produits étaient d’un vert homogène et lumineux.
Mais la découverte semblait trop belle, et les manuscrits soumis aux revues scientifiques par Obokota et ses collègues furent systématiquement rejetés.
Une régression capturée par la vidéo
Afin de démontrer une fois pour toute que "ses" cellules souches étaient bien issues de cellules différenciées, Obokata a utilisé son procédé sur un type de globule blanc bien particulier – les lymphocytes T – au profil très caractéristique. La régression prédite par Obokota s’est faite sous l’œil impassible d’une caméra de laboratoire, offrant aux sceptiques tout le loisir de constater la réalité du phénomène.
Comme le souligne un éditorialiste de la revue Nature, l’un des faits les plus surprenants est que les cellules produites par la méthode d’Obokota peuvent se différencier… en tissu placentaire. "Ce que ni les cellules souches pluripotentes induites, ni les cellules souches embryonnaires peuvent faire", rappelle-t-il.
A l’aide de ce procédé – baptisé par Haruko Obokota "Acquisition de pluripotence déclenchée par le stress" (APDS) – les chercheurs japonais seraient déjà parvenus à faire régresser à l’état de cellules souches des cellules prélevées sur l’épiderme, sur le poumon, dans le cerveau ou dans le foie des souris.
"En moyenne, 25% des cellules survivent aux contraintes [auxquelles nous les soumettons]", explique la chercheuse. "30% de ces cellules survivantes régressent effectivement en cellules pluripotentes."
Un taux de réussite bien supérieur à celui obtenu par le procédé qui a valu le prix Nobel à Yamanaka et Gurdon, par lequel seule 1% des candidates sont converties en cellules souches.
Sources :
- Stimulus-triggered fate conversion of somatic cells into pluripotency. Haruko Obokata et coll. Nature, 30 Janv 2014 doi:10.1038/nature12968
- Bidirectional developmental potential in reprogrammed cells with acquired pluripotency, Haruko Obokata et coll. Nature, 30 Janv 2014, doi:10.1038/nature12969
- Acid bath offers easy path to stem cells. David Cyranoski. Nature, 30 Janv 2014. doi:10.1038/505596a