Comment le venin de serpent peut sauver des vies
Les morsures des serpents peuvent être fatales, mais ces reptiles ont aussi le pouvoir de sauver des vies. Leur venin possède en effet des vertus thérapeutiques. Reportage.
Impitoyable, puissants, dangereux... Les serpents traînent depuis des millénaires leur mauvaise réputation. Il faut dire que certains possèdent une arme redoutable : le venin.
Venin neurotoxique ou hémotoxique
Chez les élapidés (les cobras ou les mambas par exemple), les venins sont dits neurotoxiques. Ils paralysent les muscles, entraînant une détresse respiratoire.
Dans la famille des vipéridés, (comme les crotales, ou les vipères), c’est différent. Les venins sont dits hémotoxiques. Ils entraînent des hémorragies, des thromboses, altèrent la pression artérielle.
C’est le cas de la vipère brésilienne Bothrops jararaca. Son venin est l’un des plus meurtriers mais il y a 60 ans, des scientifiques ont découvert qu’il pouvait aussi sauver des vies.
Un venin contre l'hypertension
"Des chercheurs ont montré que très souvent, juste après la morsure par un serpent, les personnes envenimées avaient une chute de tension très importante" raconte Denis Servent, directeur de recherche au CEA Paris-Saclay. "À partir de là, ils ont évidemment suspecté la présence dans le venin du serpent, d'une molécule hypotensive, qu'ils ont isolée au cours du temps. 15 ans après, une molécule a vu le jour : le Captopril, qui est un blockbuster de l'industrie pharmaceutique dans le traitement de l'hypertension artérielle", explique-t-il.
Utilisés en infime quantité, certains venins, ont en effet des vertus thérapeutiques. Pour se procurer cette substance, il est inutile d’aller chasser en forêt amazonienne.
Rémi Ksas est éleveur de serpent. C’est le seul producteur de venin en France.
Le procédé d’extraction est appelé "milking".
Comment récolter le venin de serpent ?
"Le venin est situé dans la glande à venin qui est dans le renflement en arrière de l'œil et de la tête. Le canal amène le venin à la base du crochet" décrit l'éleveur. "Le venin va ensuite rentrer dans le crochet et ressortir tout à la pointe où se trouve une fente comme une aiguille de seringue. On va procéder au prélèvement en perforant le parafilm avec les deux crochets, puis le venin commence à couler et avec l'autre main, on masse les glandes en les pressant gentiment pour extraire le reste du venin", explique Rémi Ksas.
"Les animaux sont prélevés ici une fois tous les mois, ça leur permet de renouveler leur venin qui se fait au bout de 15 jours. La fréquence d'une fois par mois permet de ne pas trop les stresser", poursuit-il.
Des toxines reproduites en laboratoire
Le venin est congelé pour être conservé.
Avec en moyenne un gramme par mois et par serpent, la production de venin est trop faible pour satisfaire l’industrie pharmaceutique.
Les chercheurs ont donc isolé et reproduit en laboratoire les précieuses toxines.
"Un synthétiseur de peptides permet de reproduire de manière correcte l’assemblage des acides aminés les uns après les autres comme on les a trouvés dans le venin de serpent. Lorsqu’on isole une toxine d’un venin, on connaît sa séquence et donc ici, on refait exactement la même chose sauf qu'on le fait en beaucoup plus grosse quantité", commente Pascal Kessler, chercheur au CEA Paris-Saclay.
Les protéines de venin sont ensuite purifiées et lyophilisées, avant d’intégrer la composition d’un médicament.
40 millions de molécules
Mais il n’y a pas que les serpents : d'autres espèces venimeuses peuvent sauver des vies. "On estime à près de 40 millions les molécules présentes dans les venins des espèces les plus connues" souffle Denis Servent. "On en a probablement identifiées et caractérisées que 0,001 %. Le champ des possibles est immense. Il faut évidemment beaucoup d'efforts et d'énergie de tous les laboratoires de recherche concernés, mais on ne peut être qu'optimiste sur le développement de ce champ d'activités", confie-t-il.
Régulateurs de glycémie pour patients diabétiques, anti-douleurs capables de rivaliser avec la morphine... Les araignées, les lézard, les scorpions, les anémones et les cônes de mers pourraient bien révolutionner notre arsenal thérapeutique. Une dizaine de médicaments issus de leurs venins sont commercialisés à ce jour.