La musique contre les virus ? Jusqu’à preuve du contraire, c’est du pipeau !
À en croire divers titres de presse, un agriculteur aurait sauvé des courgettes contaminées par une maladie incurable grâce au pouvoir de la musique. L'allégation est scientifiquement très, très douteuse.
Dans les colonnes de certains journaux, ce 13 novembre, on pouvait lire qu’un agriculteur des Bouches du Rhône aurait "fait le constat [que] certaines mélodies méticuleusement sélectionnées" avait "la capacité d’inhiber virus et champignons ou de stimuler la pousse des plantes". Il explique avoir suivi les préconisations d’une entreprise spécialisée dans ce type de traitements. La société a identifié deux souches de virus de la mosaïque de la courgette (ZYMV), et a donc proposé deux traitements musicaux différents. Devant des plants désormais resplendissants, l’agriculteur en est convaincu : c’est la musique qui a sauvé son exploitation.
Aucune autre explication envisageable, vraiment ? Alors même que, par exemple, la contamination par une souche de ZYMV a un effet protecteur contre d’autres contaminations ? Ou que l’élimination des insectes vecteurs du virus ou d’autres plantes "réservoir" du virus pourrait avoir contribuer, avec retard, au sauvetage des légumes ?
En sciences, une hypothèse apparemment farfelue peut se révéler vraie après avoir soulevé beaucoup de scepticisme. Mais plus l’hypothèse semble étonnante, plus ceux qui en font la promotion doivent faire preuve de rigueur pour la démontrer. En outre, il convient de ne pas mettre la charrue avant les bœufs (ou ici, les courgettes), en faisant la preuve de l’effet allégué avant d’élaborer une théorie pour expliquer cet effet.
Une expérience simple... dont on aimerait voir les résultats publiés et reproduits
Avec la théorie de la "génodique", pourtant, rien de tel. Démontrer l’effet de la musique sur les plantes serait, finalement, assez simple : dans deux serres bénéficiant des mêmes conditions d’exposition au soleil, de la même hygrométrie, on inviterait des agriculteurs à prodiguer leurs soins aux plantes et, la nuit, des chercheurs diffuserait dans l’une des serres une mélodie "cible". Les agriculteurs ignoreraient quelle serre bénéficierait de ce traitement "bonus", afin qu’ils ne soient pas particulièrement plus (ou moins !) méticuleux dans l’une ou l’autre serre. Cette expérience "en aveugle" pourrait être répétée sans grands frais, pour valider les observations des premiers essais. Si le fait était ainsi avéré, une discipline scientifique serait née, et l’on pourrait commencer à chercher comment la musique adoucit les choux-fleurs.
Disons-le tout net : depuis que l’hypothèse a été inventée par un certain Joël Sternheimer à la fin des années 1980, on cherche en vain les études publiées dans des revues à comité de lecture. Les brevets déposés, brandis comme des preuves de sérieux, n’ont pas grande valeur dès lors qu’ils garantissent l’originalité des techniques, et absolument pas leur efficacité. L’absence de travaux rigoureux corroborés par des équipes indépendantes ne réfute pas l’hypothèse de Sternheimer, mais dès lors qu’aucun effort n’a été fourni pour la valider, elle a aujourd’hui autant de valeur que n’importe quelle autre hypothèse qui n’a pas rigoureusement été confrontée aux faits.
Quand les explications alambiquées précèdent l'observation du phénomène
Les tenants de la génodique ne s’arrêtent pas à ses considérations, et extrapolent des explications alambiquées au phénomène non-démontré. La musique entrerait en résonnance avec les acides aminés, les vibrations des protéines (qui en somme, produiraient "des notes") pouvant s’accorder avec les vibrations de l’air… Baptisez cela du nom savant de "protéodie", et il ne reste plus… qu’à ce que le phénomène – et son éventuelle pertinence pour le développement des plantes – soient dûment observables, dans n’importe quel laboratoire du monde.
Dans l’un des articles qui, mi-novembre, vante la génodique sans aucun recul critique – laissant essentiellement les explications "scientifiques" à la société qui commercialise la solution – un chercheur de l’Inra a été sollicité pour commenter le propos : "nous n’avons pas non plus démontré scientifiquement l’efficacité de ces traitements", explique-t-il. Comprenez : jusqu’à preuve du contraire, rien n’a été observé. Si des preuves solides venaient à être apportées, l’opinion des chercheurs en agronomie pourrait évoluer. Reste qu’après 25 ans d’annonces, les seules "preuves" sont des témoignages éminemment subjectifs, et jamais un travail répondant aux canons minimaux de la recherche.
Saluons néanmoins le talent des promoteurs de la génodique qui parviennent à faire fleurir les articles (et les citations à la radio) en se contentant de jouer la douce mélodie des termes techniques et des anecdotes.
Confronter les allégations à l’expérimentation méthodique
[mise à jour du 15/11/2017] L’entreprise française qui promeut la génodique a accepté, il y a plusieurs années, de soumettre ses allégations à des expériences menées par le laboratoire ERRMECe, du département de biologie de l’université de Cergy Pontoise. "Un de mes anciens étudiants était en stage chez eux", nous explique Olivier Gallet, directeur d’ERRMECe. "J’étais très dubitatif, mais l’expérience n’était pas très difficile à mener. L’entreprise a accepté de nous transmettre des protéodies relatives à [protéines dans les] petits pois, et nous en avons fait un sujet de travaux pratiques pour nos étudiants. Cela permettait de multiplier les points expérimentaux. L’expérience a été menée en « triple aveugle ». Premièrement, [l’entreprise] nous a fourni deux [séquences musicales] correspondant selon eux à [l’expression d’une protéine présente dans les petits pois, et l’une à l’inhibition de cette protéine]. Nous ne savions pas quelle séquence correspondait à quoi. Nous avons mené les expériences indépendamment, et nous avons fait analyser les données statistiques par une tierce personne indépendante, à Mulhouse".
Résultats ? "Nous comptons les publier, ils sont intéressants !", s’enthousiaste le chercheur, qui appelle à la prudence. "Il est très important de rappeler au grand public les bases de la démarche scientifique. Les résultats de notre expérience auront une certaine probabilité d’être vrais, et il faudra attendre que d’autres travaux viennent confirmer – ou invalider – nos observations."
"Cette première publication sera discutée, d’autres chercheurs pourront se saisir de ces résultats, c’est ainsi que les sciences progressent, il n’est jamais inutile de le rappeler. Pour l’heure, il est faux de dire que l’on a des preuves que la génodique fonctionne".