Dépister la trisomie, détecter les cancers

Les tests sanguins réalisés chez les femmes enceintes pour dépister une trisomie chez le fœtus pourraient également permettre la détection de cancers chez la mère, selon une étude belge publiée le 5 juin 2015 dans la revue JAMA Oncology.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Dépister la trisomie, détecter les cancers

Depuis 2010, un dépistage prénatal non invasif (DPNI) de la trisomie 21 est proposé aux femmes enceintes à risque identifié (âge, antécédents familiaux) basé sur une évaluation échographique à 3 mois et une analyse sanguine. De nouveaux tests plus performants ont été autorisés en 2013. Selon le risque identifié à l’issue de ces examens, une amniocentèse peut être proposée à la mère.

Le prélèvement sanguin du DPNI a pour but la détection, puis l’analyse, de l'ADN fœtal en circulation dans l’organisme maternel.

Des cellules et de l'ADN du fœtus sont en effet présents dans le sang maternel. Concernant les cellules, ce fait est connu depuis 1969, date à laquelle fut démontré que des cellules porteuses du chromosome Y étaient présentes dans le sang de femmes enceintes d’un garçon. Les cellules les plus aisément détectables sont des érythroblastes - cellules sanguines très rares chez l’adulte, et reconnaissables par la présence de divers marqueurs spécifiques à leur surface. Ces érythroblastes sont toutefois plus rares - et donc plus difficiles à détecter - que l’ADN fœtal libre, issu de cellules fœtales dégradées. Or, au début des années 2000, des travaux ont révélé que la quantité d’ADN fœtal dans le sang maternel était 2,5 fois supérieure à la normale dans la plupart des cas [1] où le fœtus présente une trisomie 21 (les érythroblastes sont pour leur part 5 fois plus nombreux que la normale, mais restent néanmoins très rares).

Au cours d’une étude sur la détection des cellules fœtales circulantes, réalisée auprès de 4.000 femmes, des chercheurs belges ont identifié trois "génomes aberrants" qui ne pouvaient être associés à un profil fœtal normal ou trisomique, ni au profil maternel de référence. "Un cancer maternel a été suspecté, et ces trois patientes se sont vues prescrire un IRM du corps entier", expliquent les auteurs de l’étude. L’examen a révélé respectivement un cancer de l'ovaire, un lymphome folliculaire, et un lymphome de Hodgkin – diagnostics confirmés par des tests plus approfondis.

Cellules tumorales circulantes

Des études antérieures[2] avaient noté l’existence de DPNI faux positifs causés par la présence de cancers maternels déjà identifiés (détection des cellules tumorales circulantes). Toutefois, ces travaux semblent les premiers à avoir conduit à l’identification de cancers.

Les chercheurs notent que la proportion de cancers diagnostiqués (3 pour 4.000) se trouve "dans la fourchette attendue concernant l'incidence du cancer de la population des femmes âgées de 20 à 40 ans", ce qui suggère que le test utilisé est efficace pour détecter des tumeurs caractérisées par des déséquilibres chromosomiques.

La méthode n’est, en effet, pas pertinente pour tous les types de tumeurs. Toutefois, si sa sensibilité était confirmée, elle pourrait à terme contribuer au diagnostic précoce de nombreuses personnes - et pas seulement les femmes enceintes.

Les auteurs de l’étude notent que "compte tenu de la mise en œuvre à grande échelle actuelle des DPNI, il est surprenant qu'il n'y ait pas plus de cas de cancers maternels […] détectés de la sorte. Une explication serait que les analyses DPNI actuelles se focalisent uniquement sur les [indices biologiques] des trisomie 13, 18 et 21, [alors qu’une légère adaptation] permettrait [non seulement d'éviter] des faux positifs liés à la présence d’un cancer maternel, mais surtout de permettre l'identification [de ces cancers]."

Source : Presymptomatic Identification of Cancers in Pregnant Women During Noninvasive Prenatal Testing. F. Amant et coll. JAMA Oncology, 5 juin 2015. doi:10.1001/jamaoncol.2015.1883

 


[1] Le risque de faux positifs actuellement associé aux prélèvements de sang maternel avoisine les 0,2% (dans 2 cas sur 1.000, une trisomie est détectée, mais elle sera invalidée à l’amniocentèse). Les faux négatifs concerneraient 0,1% des tests (1 trisomie sur 1.000 non détectée). Les tests sur l'ADN fœtal circulant dans le sang de la mère seraient deux fois plus efficaces que les autres tests, selon une étude publiée début avril 2015 dans le New England Journal of Medicine réalisée sur 16.000 femmes. Ces tests semblent également plus efficaces que les autres pour détecter les cas de trisomie 18 (environ 90% de cas détectés) et de trisomie 13.

[2] Discordant noninvasive prenatal testing results in a patient subsequently diagnosed with metastatic disease. C.M. Osborne et coll. Prenat Diagn. 2013;33(6):609-611, et Non-invasive prenatal chromosomal aneuploidy testing—clinical experience: 100,000 clinical samples. R.M. McCullough et coll. PLoS One. 2014;9(10):e109173

La trisomie 21 ou syndrome de Down est un handicap incurable dont la fréquence était estimée au début des années 1990 à 1/800 environ, en l'absence de dépistage, et à 1/2.000 naissances depuis que le dépistage est proposé à l'ensemble des femmes enceintes (environ 800.000 par an).