La chicha plus toxique que la cigarette ?
Jugée sympa, conviviale et peu nocive, la chicha ou narguilé séduit de plus en plus de jeunes en France. Mais quels sont vraiment ses effets sur la santé ? Le Dr Alice Deschenau, psychiatre addictologue, fait le point.
La pipe à eau, autrement appelée narguilé, chicha ou hookah, est une pratique originaire du Moyen-Orient qui s'est répandue en Occident. Les bars à chicha ont ouvert en quantité et le narguilé séduit de plus en plus les plus jeunes, qui le consomment dans la rue ou à domicile. Cette expansion de la chicha est telle que l'Organisation mondiale de la santé s'en est alarmée.
La chicha, comment ça marche ?
La chicha est un mode de consommation du tabac. On retrouve la toxicité du tabac, notamment parce qu'il s'agit d'inhaler de la fumée. S'il est difficile de donner un chiffre exact d'équivalence cigarettes / chicha, on peut dire qu'une séance de chicha équivaut au moins à un paquet de cigarettes fumé.
En haut du narguilé, se trouve le foyer. Dans cette partie, on dépose une douille de tabamel, un tabac conditionné avec de la mélasse et des essences de fruits. Recouverte d'une feuille d'aluminium percée, un charbon est allumé par-dessus. Les cendres sont recueillies dans le cendrier, la fumée, elle, s'engouffre dans la cheminée, un conduit qui descend au fond du vase. Ce réservoir est à moitié rempli d'eau. La fumée passe dans l'eau, est humidifiée avant d'être inhalée par le fumeur. Ce dernier aspire à travers un tuyau raccordé en haut du vase, ce qui attise la combustion du charbon. Une soupape permet l'évacuation du surplus de fumée.
La chicha plus dangereuse que la cigarette ?
La plupart des fumeurs de chicha, souvent des non-fumeurs, minimisent la toxicité de ce qu'ils inhalent. Il s'agit pourtant bien de tabac ! L'aromatisation sucrée de ce tabac et l'humidification de la fumée la rendent certes moins irritante qu'une fumée de cigarette, mais ce n'est qu'une question de sensation. On pense aussi souvent que la fumée est filtrée par l'eau. Or, si on prend par exemple les métaux lourds présents dans la fumée, une étude a montré que seuls 3% sont retenus dans l'eau, les 97% restants demeurent donc dans la fumée pour être inhalés par le fumeur et les personnes présentes dans son environnement proche ou dans la pièce... On y retrouve aussi les substances cancérigènes, le monoxyde de carbone - un gaz toxique pour l'organisme sur le plan cardiovasculaire - comme tout tabac fumé.
La toxicité de la chicha est réelle. Selon les conclusions d'une publication de 2016 qui a regroupé toutes les études portant sur l'analyse d'une session de chicha comparée à une cigarette, les auteurs ont retrouvé en moyenne une production de 74 litres de fumée inhalée par chicha pour 0,6 litre par cigarette. Par ailleurs, il y a deux fois plus de nicotine, 25 fois plus de goudrons et 11 fois plus de monoxyde de carbone.
Les comparaisons entre narguilé et cigarette ne sont pas faciles car ce n'est pas la même manière de consommer, en termes de fréquence en particulier. On ne sort pas fumer une chicha toutes les heures... Il existe aussi beaucoup de variations dans la manière même de fumer la chicha. Mais fumer au narguilé n'a rien d'anodin. Il faut que cette toxicité soit mieux connue, d'autant qu'elle touche beaucoup les adolescents et jeunes adultes. De plus, la fumée concerne le fumeur mais aussi les personnes présentes si l'espace est fermé.
La chicha, une porte d'entrée vers le tabac ?
Concernant les variations dans la manière de fumer, les Occidentaux ont tendance à avoir un usage plus toxique notamment en termes de quantité inhalée (profondeur et nombre des bouffées par chicha). De plus, les pratiques réduisant certains risques, bien en place au Moyen-Orient, n'ont pas été reprises lors de l'adoption de la chicha par l'Occident. Il est notamment recommandé de changer l'eau régulièrement, de ne pas laisser carboniser le produit, d'utiliser un embout personnel, de nettoyer le matériel... Ces éléments s'ajoutent aux effets néfastes pour la santé.
En 2017, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies a annoncé que la moitié des jeunes de 17 ans déclaraient avoir déjà fumé au narguilé contre 65% en 2014, donc un net recul, en particulier chez les filles. 7,7% des adolescents avaient déjà fumé le narguilé sans avoir expérimenté la cigarette. L'expérimentation de cigarettes concerne encore six ados sur dix. Les expérimentations des deux produits du tabac ne sont donc pas très éloignées.