Tabagisme passif : stop à la polémique !
Il y a une semaine, le Pr. Philippe Even, pneumologue réputé, remettait en cause la nocivité du tabagisme passif, "une peur qui ne repose sur rien", selon lui. Pures allégations selon d'autres spécialistes et le ministère de la Santé. Mais alors, à quel saint se vouer ? David Zavaglia nous aide à y voir plus clair.
Les propos du pneumologue Philippe Even
Alors que le monde entier se mobilisait pour la Journée sans tabac, le 31 mai 2010, un pneumologue réputé, Philippe Even, remettait en cause la nocivité du tabagisme passif. Dans une interview accordée au quotidien Le Parisien, il affirmait que le tabagisme passif est une "peur qui ne repose sur rien". Les explications en images.
Tabagisme passif : nocif, sans aucun doute
Le point avec David Zavaglia sur le pour et le contre dans les propos du Pr. Even :
- Depuis quand estime-t-on les dégâts liés au tabagisme passif ?
"En France, cela a commencé en 1997, avec un rapport de l’Académie de médecine qui estimait déjà à 3000 le nombre de morts liés au tabagisme passif. Mais c’était les prémices de ce genre d’études. Les plus grosses études et donc les plus grosses attaques contre le tabagisme passif ont eu lieu en 2006, avec notamment aux USA un énorme rapport de 727 pages, édité par le big boss de la santé, le "general surgeon". Le rapport a été écrit par 22 experts puis entièrement relu par 30 scientifiques indépendants et les conclusions sont sans appel : la fumée respirée passivement contient des dizaines de substances cancérigènes, le tabagisme passif augmenterait de 20 à 30 % le risque de cancer du poumon et de 25 à 30 % le risque de maladies cardiaques. Et ce rapport affirmait déjà qu’il était inutile d’essayer de séparer fumeur et non fumeurs, ou de bien ventiler les lieux publics, seule l’interdiction totale fait disparaitre les substances toxiques.
"En Europe, c’est un rapport un peu moins gros, mais 148 pages quand même, intitulé Lifting the smokescreen, qui a eu un gros impact sur les politiques anti-tabac des gouvernements, notamment parce qu’il contenait des estimations très alarmantes sur le nombre de décès liés au tabagisme passif."
- Le Pr. Even estime que ces chiffres sont faux, pourquoi ?
"Disons qu’il n’a pas complètement tort en ce sens que ce sont les mauvais chiffres qui ont été mis en avant par les associations et même par Xavier Bertrand, ministre à l’époque, qui parlait de 6000 morts quand les mesures d’interdiction dans les lieux publics se mettaient en place. Mais si on regarde le rapport de près, on constate que ce chiffre de 5863 morts en France liés au tabagisme passif mélange fumeurs et non-fumeurs, ce qui est absurde, un fumeur meurt de tabagisme, pas de tabagisme passif. Donc quand on regarde le tableau qui exclue les fumeurs, cette fois le nombre de décès liés au tabagisme passif descend à 1114, dont 1007 à domicile et 107 sur les lieux de travail.
"Mais il n’empêche que ce sont déjà des morts de trop, qui d’après le rapport surviennent surtout par cancer du poumon ou par maladies cardio-vasculaires."
- On pense à tort que le tabagisme passif provoque surtout des cancers du poumon, alors que c’est encore plus dangereux pour le cœur, mais là encore le Pr. Even conteste les chiffres…
"Oui il nie en bloc, pourtant j’ai parcouru beaucoup d’articles récents, et le consensus est très clair. Et récemment des chercheurs canadiens se sont « amusés » à faire une meta-analyse des données c'est-à-dire reprendre tous les travaux publiés sur le sujet pour en faire une analyse globale et ils concluent que le risque de développer une maladie cardio-vasculaire chronique augmente de 30 % avec le tabagisme passif. Et en l’absence de tabagisme passif, il y a 50 % de chances en moins d’avoir un infarctus du myocarde.
"Ce qui joue en la faveur du Pr. Even c’est qu’en France on a du mal à prouver cet effet. Il y a une grande étude en cours, Envicor, qui suit d’années en année le nombre d’accidents cardiaques sévères. Et on pensait qu’avec l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics, on allait constater une diminution drastique du nombre d’attaques. Mais quand on regarde la courbe (courbe) ça ne fait que diminuer graduellement, sans changement après 2007 et 2008. Mais c’est peut-être du au fait qu’en France depuis la loi Evin de 91, l’exposition au tabagisme passif a commencé à diminuer. Par contre dans les autres pays, comme les USA, l’Italie, ou l’Angleterre, après l’interdiction on a constaté une diminution de 17 à 19% des hospitalisations dues à ces symptômes coronaires graves.
- On finit avec la question du risque pour les enfants...
"Cela est vraiment impardonnable de sa part. Je ne reviendrai pas sur l’asthme, car fumer au visage d’un asthmatique, ça défie toute logique. Par contre oser affirmer qu’on peut fumer sans crainte devant les enfants, c’est limite criminel. Surtout parce que c’est faux scientifiquement. C’est vraiment le domaine où plus aucun doute n’est parmi, j’ai vu tellement d’articles sur le sujet que c’est difficile d’être exhaustif mais pour résumer le tabagisme passif subi par la femme enceinte, ça entraine plus de morts in utero, un bébé plus petit et faible à la naissance, et plus de morts subites par la suite.
"Pour les enfants qui le subissent, c’est une augmentation très nette du risque de problèmes respiratoires en tout genre : sinusites chroniques, bronchites, pneumonies, otites et encore plus grave, un risque plus important de cancer du poumon une fois adulte. Et enfin c’est tellement bête qu’il faut le redire, fumer devant les enfants, ça les incite à devenir eux-mêmes fumeurs et donc à en subir les conséquences !"
- En conclusion...
"Je pense que le Pr. Even se sera offert un joli coup d’éclat médiatique pour sa retraite, mais sur le plan scientifique et médical, il n’y a pas de quoi polémiquer, la nocivité du tabagisme passif est clairement démontrée. Et ce qui me rassure c’est que cette polémique n’a plus lieu dans les revues scientifiques, au contraire on est déjà passé à l’étape suivante. Il y a deux éditos qui sont sortis très récemment dans BMJ et The Lancet, des revues de référence où ils se posent la question de la nécessité de mettre en place des lois pour protéger les enfants contre le tabagisme passif, y compris chez eux. Et l’édito du BMJ sur les enfants finit très justement en disant que probablement dans dix ans, quand on regardera en arrière, on se dira « comment on a pu laisser faire ça pendant si longtemps ? » Donc je reste optimiste, je pense que la société va encore beaucoup progresser dans ce domaine."
En savoir plus
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Dans les médias :
- Le Parisien.fr
- "Et si le tabagisme passif n’était pas si grave ?", par Thibault Raisse, le 31 mai 2010.
- L'Express.fr
- "Le tabagisme passif est-il réellement dangereux ?", le 31 mai 2010.
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