Vivre avec une MICI
Les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI) touchent 200.000 Français. A l'annonce du diagnostic, le monde que l'on connaît s'écroule, puis les patients apprennent progressivement à vivre avec des symptômes plus ou moins intenses. La vie personnelle souffre souvent de ces maladies qui touchent l'intime et le tabou. Océane et Emmanuel ont accepté de nous dévoiler leur vie avec une rectolite hémorragique et une maladie de Crohn... Portraits croisés.
Gérer le diagnostic et accepter…
Océane a 13 ans quand elle s'aperçoit qu'il y a du sang en abondance dans ses selles. Elle en parle à son père médecin, va à l'hôpital avec ses parents. "J'étais jeune, je ne comprenais pas ce dont on me parlait et je ne me suis pas trop inquiétée", raconte-t-elle. A l'hôpital, le diagnostic de rectocolite hémorragique est porté rapidement.
Un médecin lui explique que cela touche un certain nombre de personnes et qu'un traitement est nécessaire. Puis un mot est prononcé et la glace : "Il m'a dit que c'était incurable, ce mot m'a traumatisé car je pensais qu'on en mourrait…" Océane garde cette inquiétude en elle quatre longues années, avant d'en parler à une psychologue. Avant cela, elle n'ose aborder sa maladie qu'avec une seule amie : "c'était une honte, se souvient-elle. Je me sentais différente et c'était dur d'en parler. En plus, je ne comprenais pas trop de quoi je souffrais…" Un traitement est alors commencé, mais elle le supporte mal et les médicaments lui renvoient l'étiquette de malade.
En 2000, Emmanuel perd du poids et souffre de douleurs abdominales terribles, ainsi que de diarrhées. La maladie de Crohn est moins connue qu'à l'heure actuelle et six mois sont nécessaires pour poser le diagnostic : "Je ne savais pas ce que c'était, explique-t-il. Sur le moment, j'étais pris en charge par les médecins et je ne me suis pas trop posé de questions".
La première année, il est pris dans la tempête de l'annonce de la maladie, les examens, la course aux traitements et il ne prend pas le temps de réfléchir. "Au bout d'un an, j'ai eu un déni, analyse-t-il. Grand sportif, je ne voulais rien changer à mon mode de vie : je venais juste de me marier, j'avais une fille de 6 mois et j'ai arrêté mes traitements… "
La maladie se rappelle à lui au bout de trois ans, sous la forme de nausées au réveil, de douleurs intenses et d'une grande fatigue… Il revient à la raison et se traite désormais sans hésitation, d'autant plus que l'arrêt des traitements a précipité une opération où 25 cm d'intestin et le bas du duodénum ont été retirés.
"J'accepte bien ma maladie, en partie grâce à une association Vivre avec le Crohn, détaille Emmanuel. Ce groupe m'a beaucoup aidé car c'est une maladie dont on a du mal à parler, qui est encore tabou puisqu'on parle des intestins et d'aller aux toilettes ! Les hommes n'en parlent pas…"
Faire accepter le handicap invisible
Au niveau professionnel, Emmanuel a été obligé de quitter l'armée où il travaillait ; par la suite, ses employeurs ne comprenaient pas sa maladie lorsqu'il faisait des poussées,… Il est donc devenu pilote de drone professionnel, un métier plus compatible avec ses symptômes. Bénéficiant du statut de travailleur handicapé, il dénonce la frilosité des employeurs : "les patrons actuels n'osent pas nous employer ! Or je vais bien depuis que j'ai été opéré."
Emmanuel estime que les gens comprennent très mal cette maladie et leur regard est très dur. "De l'extérieur on ne voit rien mais le handicap invisible est invalidant aussi, explicite-t-il. Avec l'association, on essaie de faire en sorte de reconnaître le handicap invisible. Une application, Hepatoweb, est sortie il y a quelques mois. Elle peut aider à mieux comprendre les MICI."
Adapter sa vie aux symptômes
Si Océane n'est pas trop gênée par les symptômes les deux premières années, sa vie se complique au lycée : "je quittais les cours à cause de douleurs abdominales, se souvient-elle. Mais j'ai réussi à suivre ma scolarité car les professeurs m'envoyaient les cours et je suivais des cours particuliers dans les matières où je n'assistais pas aux cours".
Sa gastro-entérologue lui recommande de consulter une spécialiste et cette thérapie lui fait un bien fou : "ma psy m'aide à accepter la maladie, à ne pas m'apitoyer sur mon sort, à régler tous les problèmes que j'avais refoulés et au final et à vivre avec ma maladie." En famille, son frère et sa sœur ne la voient pas comme une malade, ce qui l'aide énormément. Si ses parents, inquiets lui "demandent souvent des nouvelles de son ventre", maintenant la parole s'est libérée sur ce sujet : sa maladie est intégrée à la vie de famille, mais elle n'est plus au centre des attentions.
Océane apprend aussi à se connaître : "cela fonctionne sous forme de crise, quand je suis fatiguée ou stressée, estime-t-elle. Quand j'étais en terminale, c'était ingérable car je ne pouvais pas bouger tellement j'avais mal". Sa psychologue lui fait comprendre combien "la tête" est importante. La médecine parallèle l'aide aussi à se sentir mieux et le concept "d'intestins, deuxième cerveau" la passionne.
Une meilleure connaissance de son corps et de l'alimentation l'aide aussi ; elle évite certains aliments, comme l'asperge et l'artichaut, qui la font souffrir le martyr. D'autres ont un impact non négligeable sur ses intestins, mais elle s'accorde des petits plaisirs en les mangeant de temps en temps et en petite quantité. Si les douleurs se sont apaisées, restent les ballonnements qui surviennent après les repas et la complexent : "Mais je mets un top plus ample pour que ça ne voit pas et c'est tout, minimise-t-elle. Et dès que je sens les ballonnements arriver, je fais une sieste et ça finit pas passer."
Aujourd'hui, la jeune femme parvient à passer des journées à la faculté, sans même y penser. Elle voyage, voit ses amis : "c'est casse-pied, mais ce n'est pas invivable, résume-t-elle. Je ne suis pas trop touchée : 25 cm du côlon, ça va, ça limite les symptômes…"
Envisager une relation amoureuse, malgré des symptômes tabou
Comment aborde-t-on le plan sentimental avec une MICI ? Océane avoue avoir eu peur au début : "Cela m'a stressée d'envisager une relation. Dois-je vivre avec lui alors que je suis bloquée aux toilettes pendant une heure ?" Ses petits copains ont balayé ses interrogations : "Au final, je n'ai jamais vécu avec un homme, mais mes petits copains ont totalement accepté ma maladie. Ils faisaient attention aux quelques contraintes, comme l'alimentation. Donc au final, je n'ai plus peur et en plus, ils m'acceptent comme je suis ou ils s'en vont !"
Quant à Emmanuel, il confie avoir revu entièrement sa vie : "à cause de la maladie, j'ai mis les parties professionnelle et personnelle entre parenthèses : j'avais trop de symptômes…"
Sur le plan sentimental, après son divorce, il reste célibataire durant 5 ans. "Au réveil, on va vomir puis on va aux toilettes très souvent, on fait du bruit, avec des odeurs pestilentielles, ça n'aide pas !" explique-t-il franchement. Il était persuadé rester tout seul jusqu'au jour où il rencontre Carla dans le cadre associatif… Elle aussi souffre d'une maladie de Crohn et ils "accrochent" tout de suite. Pour Emmanuel, cela simplifie énormément les choses de vivre tous les deux la même maladie au quotidien : "Nul besoin d'expliquer en long et en large les annulations de dernière minute, fréquentes à cause de la fatigue ou des douleurs, puisqu'elle comprend parfaitement les symptômes dont je souffre".
Avoir des enfants, une décision personnelle
Les contraintes de la maladie et l'intensité des symptômes sont parfois telles qu'elles coupent l'envie d'avoir des enfants. Une décision pragmatique qui n'est pas toujours comprise par la société…
Du fait de la fatigue, l'amie d'Emmanuel préfère s'occuper de ses neveux et nièces : elle a tous les bénéfices sans les inconvénients ! Ce que Emmanuel comprend bien puisque sa fille avait 6 mois quand la maladie de Crohn a été diagnostiquée : "c'est très difficile de s'occuper d'un enfant en bas-âge, quand vous êtes épuisé, et obligé de courir aux toilettes toutes les 5 minutes…"