Coronavirus : le microbiote intestinal joue-t-il un rôle ?
Les bactéries présentes dans l'intestin pourraient exercer une action - positive ou négative - sur le Covid-19 et sur son évolution. L’AP-HP lance un nouvel essai clinique qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles pistes de traitement.
Quel est le lien entre microbiote et Covid-19 ? Une rumeur concernant la bactérie Prevotella présente dans notre intestin a couru sur internet : elle serait infectée par le coronavirus et serait responsable des cas graves et des décès.
Une rumeur complètement infondée et qui ne s’appuie sur "aucun argument scientifique", déplore le professeur Harry Sokol, gastro-entérologue à l’hôpital Saint-Antoine à Paris (AP-HP).
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Fausse rumeur mais vraie idée
Plus précisément, cette idée repose sur l’analyse du microbiote de trois patients chinois, sans groupe contrôle. Ces trois cas présenteraient une proportion importante de Prevotella dans leur microbiote. Il est d’une part "impossible de conclure avec un si petit échantillon" note le spécialiste. Et d'autre part, Prevotella est une bactérie "banale de l’intestin", souvent "dominante chez les sujets sains, même chez les femmes et les enfants" contrairement à ce qu’affirme l’auteur de la rumeur. En somme, chaque information utilisée comme point de départ à cette allégation est fausse et chaque hypothèse est présentée à tort comme un fait avéré.
Mais même si cette rumeur est infondée, le fait que le microbiote puisse jouer un rôle dans l’infection au coronavirus n’est, en revanche, pas improbable. Cet ensemble de bactéries vivant dans nos intestins pourrait en effet avoir une action protectrice ou au contraire délétère sur la maladie. "Plusieurs arguments scientifiques impliquent l’intestin et son microbiote" dans les cas de coronavirus, reconnaît le professeur Harry Sokol.
Le virus se multiplie probablement dans l’intestin
Premier argument : les symptômes digestifs (diarrhées, nausées et vomissements), qui apparaissent dans 5 à 25% des cas. Les patients qui présentent des symptômes digestifs sont d’ailleurs "plus à même de développer des formes graves de la maladie" rappelle le professeur Sokol.
Or, biologiquement, le virus a la capacité d’infecter les cellules de l’intestin et donc de se répliquer dans cet organe. Mieux, les chercheurs ont déjà détecté du génome du virus dans les selles des malades, même quand le virus n’est plus présent dans les poumons. Autant d’observations qui suggèrent que le virus se multiplie aussi dans les cellules de l’intestin.
Ensuite, il existe aussi des arguments indirects en faveur d’un lien entre le microbiote et l’infection au coronavirus. "Les patients les plus susceptibles de développer une forme grave de la maladie sont les patients obèses, diabétiques ou hypertendus, trois maladies associées à une altération du microbiote" avance le gastro-entérologue.
L’exemple du virus de la grippe
Un troisième argument repose sur l’exemple d’un autre virus : celui de la grippe. "Les données épidémiologiques chez l’humain et expérimentales chez l’animal montrent que le microbiote intestinal module la sévérité de la grippe", rappelle le professeur Sokol. Par exemple, chez l’animal, la prise d’antibiotiques – qui détruisent les bactéries, y compris les bactéries intestinales – expose à une forme de grippe plus sévère. A l’inverse, si le microbiote est enrichi par la consommation de fibres, l’animal exprime des formes moins sévères.
Pourquoi ? Probablement parce que les molécules produites par certaines bactéries "protectrices" de l’intestin passent dans le sang et diffusent dans l’ensemble de l’organisme, y compris dans les poumons. Et, à cet endroit, elles auraient "une action anti-inflammatoire" qui "calmerait l’effet délétère de la réponse immunitaire" décrit Harry Sokol. S’il existe pour la grippe, un processus similaire est également possible pour le coronavirus.
300 selles de patients testées
Alors, pour mieux comprendre ce lien entre microbiote et coronavirus, l’AP-HP a lancé une étude baptisée Covibiome. Elle a reçu l’accord du comité d’éthique le 19 avril et a débuté dès le lendemain.
Il s’agit d’une première étape, "pour savoir si les patients malades ont une altération du microbiote et si cette altération est associée ou non aux formes graves de la maladie" précise le professeur Sokol. En pratique, les médecins vont prélever les selles de 300 patients malades du Covid-19 qui présentent des formes plus ou moins sévères de la maladie. Idéalement, au moins deux échantillons par patients seront prélevés à différents moments de la maladie. Tous ces prélèvements seront ensuite analysés et comparés aux microbiotes de sujets sains, déjà présent dans la banque de données de l'AP-HP.
Bientôt un test prédictif ou un médicament ciblé ?
Les premiers résultats sont attendus pour la fin de l’été 2020 et devraient permettre de savoir si le microbiote est modifié par l’infection et s’il joue un rôle dans la maladie. A l’issue de cette étude, deux applications pourraient voir le jour.
La première consiste en des tests "très simples" qui pourraient "prédire si l’infection va être grave ou non" grâce à une analyse de selles, dévoile le professeur Sokol. Concrètement, ce test permettrait de savoir pour chaque patient s’il est nécessaire de lui administrer un traitement complexe et de l’hospitaliser ou, au contraire, si une simple surveillance est suffisante.
La seconde application thérapeutique est envisageable si l’étude identifie certaines bactéries comme ayant une action délétère ou favorable sur l’évolution du Covid-19. Dans ce cas, "on pourrait apporter une « bonne » bactérie au patient ou, à l’inverse, viser une bactérie délétère de façon ciblée" espère enfin le spécialiste.