Vaccin contre le Covid : "Le chantage de Sanofi entretient un système vicieux et opaque"
Pour son vaccin contre le coronavirus, Sanofi pourrait donner l’avantage aux Etats-Unis, premiers à en financer la recherche. Une situation qui interroge sur le marché des médicaments et la recherche pharmaceutique.
Qui bénéficiera en premier du vaccin contre le Covid-19 s’il est efficace ? Le groupe pharmaceutique Sanofi a créé la polémique le 13 mai en déclarant que la primeur du vaccin pourrait être réservée aux Etats-Unis, car les autorités américaines ont été les premières à apporter un important investissement.
Le lendemain, Sanofi a demandé aux autorités européennes d'être aussi "efficaces" que leurs homologues américaines. Des annonces que le gouvernement français juge "inacceptables", d’autant que Sanofi , entreprise française, bénéficie chaque année de subventions publiques sous forme de Crédit Impôt Recherche. Jérôme Martin co-fondateur de l'observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, invité du Magazine de la santé le 14 mai, décrypte pour nous cette polémique.
- Pourquoi qualifiez-vous la déclaration de Sanofi de chantage ?
Jérôme Martin : C’est du chantage parce qu’il s’agit d’entretenir un système totalement vicieux et opaque dans lequel la recherche et les risques inhérents à la recherche sont assumés par le public, alors que les profits sont privatisés. Sanofi reçoit au seul titre du crédit Impots Recherche depuis 10 ans 150 millions d’euros par an. Cela fait 1,5 milliard d’euros. Dans le même temps, Sanofi a supprimé plus de 2.800 postes de chercheurs. Donc on voit bien que la recherche est assumée par le public et que les profits sont assumés par le privé, alors même que Sanofi vient d’annoncer des dividendes record de quatre milliards d’euros versés à ses actionnaires en pleine crise sociale et économique liée au Covid. Il y a donc quelque chose d’indécent à demander encore plus d’argent aux pouvoirs publics et à l’Europe pour qu’on puisse bénéficier de produits qui auront déjà été financés par des fonds publics.
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- Est-ce légal, pour une entreprise française comme Sanofi, d’offrir la primeur de son vaccin à un autre pays, en l’occurrence les Etats-Unis ?
Jérôme Martin : C’est moralement intenable mais c’est tout à fait légal puisqu’on est dans un système où on a accepté que les produits de santé, les médicaments et les vaccins soient assumés par le privé. C’est donc la logique de l’offre et de la demande. C’est la logique du marché qui prévaut. Et si le marché français n’est pas assez intéressant parce qu’il ne paye pas assez, Sanofi a tout à fait la possibilité de le faire. La menace de Sanofi est totalement scandaleuse mais il faut bien voir que c’est ce qui est fait dans le monde entier par l’industrie pharmaceutique depuis des années, aux malades du Sida privés des dernières innovations, aux malades du cancer en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud… dans tous les endroits où l’industrie pharmaceutique estime que ce n’est pas assez profitable. Donc ce chantage conscient et assumé auprès de la France est quelque chose qui s’exerce dans tous les pays du monde et qui prive la très grande majorité des malades de médicaments et d’innovations thérapeutiques.
- Quelle serait la solution pour mettre un terme à ces pratiques ?
Jérôme Martin : Déjà, un décret pour la transparence sur tous les financements publics donnés à la recherche pour qu’on sache exactement combien nos impôts ont déjà payé pour une recherche qui se dit privée. Ensuite, une conditionnalité à ces financements publics. La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation Frédérique Vidal doit annoncer dès maintenant que ce qui a été financé par l’argent public restera dans le public et ne peut pas être breveté. Il faut qu’il y ait une production publique nationale forte des médicaments, avec des relocalisations et à très court terme des réquisitions. Il faut aussi qu’il y ait une coopération internationale pour assurer un accès universel à toutes les innovations. Deux propositions de loi viennent d’être déposées à l’Assemblée nationale en ce sens. On attend qu’elles soient soutenues par tous les députés et par le gouvernement. D’autant que ce dernier n’a strictement rien fait depuis le début de la crise du Covid pour contrer ce système qui nous prive des innovations, nous pénalise et ruine notre système de santé, puisque nous payons les médicaments et les vaccins deux fois."