Annonce d'un vaccin contre le sida : une fable irresponsable
C’est l’histoire d’un laboratoire discret, dans lequel une poignée de chercheurs français (cocorico) annoncent avoir fait, dans leur coin, une découverte révolutionnaire : la découverte d’un vaccin contre le VIH. Doit-on se précipiter pour déboucher le champagne et se tomber dans les bras ? Ou bien attendre que ledit laboratoire, connu pour ses annonces hâtives, présente à la communauté scientifique ses protocoles et ses résultats ? Depuis le 14 mars, une part importante de la presse française a fait le premier choix.
Tout a commencé par un article du quotidien La Provence, révélant à ses lecteurs qu’un laboratoire marseillais avait fait une incroyable percée dans la lutte contre le VIH. Ne voulant pas être en reste, d’autres médias ont relayé l’information, rejoint par l’Agence France Presse (dont les dépêches sont considérées comme parole d’évangile dans certaines rédactions). Dans ce concert d’échos, quelques "petits bémols". Le premier, et non le moindre : les données scientifiques liées à ces recherches – ses méthodes, son protocole, ses résultats – n’ont jamais été présentées devant d’autres chercheurs, ni publiées dans une revue scientifique. De plus, le laboratoire – BioSantech – est connu pour ses promesses rarement suivies d’actes.
Une annonce douteuse montée en épingle
Selon les données présentées à la presse, les travaux des chercheurs portent sur un traitement permettant d’interrompre la trithérapie. Celle-ci amène une diminution drastique de la quantité de VIH dans le sang – au point de le rendre non détectable – mais, si on l’interrompt, cette charge virale repart invariablement à la hausse. Les chercheurs affirment que chez 4 patients sur 12 testés, la charge virale est "quasi indétectable" deux mois après l’arrêt de la trithérapie.
Si l’on se tient à ces seules affirmations, on peut s'étonner de leur retentissement médiatique : si l’on s’en tient aux mots, ce "quasi indétectable" signifie que la prolifération du virus a de nouveau eu lieu, que le patient peut donc potentiellement transmettre encore le virus, même si les effets du virus sur son organisme sont limités. En s’en cantonnant aux mêmes déclarations, on ignore totalement si ce phénomène se prolonge au delà de deux mois.
Un mauvais parfum de déjà-vu
Mais doit-on vraiment croire les auteurs de ces déclarations ? Souvenez-vous : c’était le 28 octobre 2015. Un laboratoire marseillais convoquait la presse pour présenter des résultats "encourageants" d’un test mené sur 48 patients infectés par le VIH. Un vaccin expérimental aurait permis de diminuer la charge virale à une dose "quasi indétectable", chez quatre patients, un mois après l'arrêt du traitement de trithérapie. Les données allaient être publiées "sous peu"… En réalité, au-delà d’un dossier de presse : rien. Ce laboratoire était BioSantech.
Dans divers échanges avec la presse, Corinne Tréger, la présidente de Biosantech, ne s’en cache pas : ses déclarations et ses annonces ont pour but de mobiliser des financements. Comme en amont de sa campagne de financement participatif en 2013, ou avant le Sidaction, en mars 2015…
Il ne s’agissait jamais de communication scientifique, à destination de la communauté scientifique, pour faire avancer les connaissances scientifiques. D’ailleurs, dans les congrès internationaux de virologie, les chercheurs de BioSantech n’ont jamais jugé utile de présenter l’avancement de leurs travaux.
"Cela fait 17 ans que certains des chercheurs qui sont aujourd’hui chez BioSantech font de telles annonces", déplore Vincent Pelletier, directeur général d’AIDES, interrogé par la rédaction d'Allodocteurs.fr le 17 mars, confirmant que le laboratoire marseillais est un grand spécialiste de l’arlésienne.
L’arrivée de l’arlésienne boiteuse
Pourtant, il y a un fait nouveau, en cette mi-mars 2016 : une étude scientifique a enfin été rédigée et est, réellement, en passe d’être publiée (dans la revue Retrovirology). Le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l'ANRS, a eu accès au fameux article avant sa publication. L’examen de ce document le laisse on ne peut plus sceptique. "Je ne partage pas du tout l'analyse des données présentées à Marseille", a-t-il déclaré, soulignant qu’il n’y a ici "aucune donnée solide en faveur de ce candidat vaccin", qu’il n’existe "pas de données biologiques qui permettent de dire quoi que ce soit à ce stade".
À l’ANRS, d’autres chercheurs nous le confirment : "ce qui est dans l’article n’a pas grand chose à voir avec ce qui est extrapolé dans les articles de presse depuis quatre jours"…
Fin 2013, nous dénoncions dans ces mêmes colonnes les effets d’annonce qui suscitent énormément d’espoir, invariablement déçus. Le professeur Odile Launay, coordinatrice du Centre d’Investigation Clinique en Vaccinologie Cochin-Pasteur (CICVCP), y soulignait que les thérapies qui font l’objet de ces annonces "font l’objet de beaucoup de demandes de la part des patients lors [des] consultations". "Nous leur expliquons que, même si ces recherches aboutissaient, nous n’envisagerions pas une guérison. Nous en sommes à stimuler une réaction du système immunitaire, pour qu’ils puissent eux-mêmes contrôler le virus. Il ne faut pas que les gens soient trompés sur ce qu’ils peuvent attendre."
Autre risque : en laissant entendre au grand public qu’un "vaccin contre le sida" est pour ainsi dire trouvé, on lui suggère que le VIH n’est plus vraiment un problème. "Se protéger ? A quoi cela sert-il, puisqu’on guérit maintenant le sida ! Un vaccin, et hop !"
Non, ce vaccin n’existe pas encore. Colporter cette annonce est un mensonge dangereux.