Pourquoi les parents d'Hugo et Emma sont-ils contraints d'appeler aux dons pour sauver leurs enfants ?
Les parents de Hugo et Emma, atteints d’une maladie rare qui les condamne, se battent pour rassembler l’argent nécessaire au lancement d’un essai clinique pour tenter de les sauver. Le footballeur Alphonse Areola vient de contribuer généreusement à leur appel aux dons, dans un contexte où la recherche dans les maladies rares relève du chemin de croix.
Le 16 octobre, la cagnotte pour sauver Hugo et Emma Mercier, 3 ans et 1 an, ces deux enfants atteints de la maladie de Sanfilippo type B– une maladie génétique neurodégénérative rarissime qui détruit rapidement et irrémédiablement leur cerveau- était passée à presque 775.000 euros. En partie grâce à Alphonse Areola, champion du monde de football, et sa femme, qui viennent de contribuer pour soutenir Julien et Alicia Mercier, les parents des deux enfants. Leur maman, Alicia, a annoncé la bonne nouvelle sur la page Facebook de l’association "Hugo et Emma, un combat pour la vie".
Depuis le 12 juillet dernier, le couple Mercier fait appel à la générosité collective, dans le but de rassembler 4 millions d’euros. Cette somme gigantesque doit servir à payer un essai clinique pour essayer de stopper l’évolution de la maladie.
Pousser les recherches plus loin avec un nouveau protocole
Aucun médicament contre la maladie de Sanfilippo n’est disponible sur le marché et, sans traitement, les enfants sont promis à une mort certaine. Une situation que leurs parents ne peuvent pas accepter. "Le médecin qui a posé le diagnostic nous a dit de profiter de la vie et de créer des souvenirs, mais pour nous, ce n’est pas possible de se résigner", explique Alicia Mercier. La situation est d’autant plus insupportable pour eux qu’en 2013, un premier essai clinique (toujours en cours), mené par le Pr Marc Tardieu, neuropédiatre, en association avec l’Institut Pasteur, a donné des résultats intéressants.
Après une vingtaine d’années de recherches, un médicament de thérapie génique -sous la forme d’une injection intracérébrale-, a été testé sur 4 enfants touchés par la maladie de Sanfilippo type B. Avec un certain succès. "Nos résultats ont été publiés dans la revue Lancet Neurology, rapporte le Pr Tardieu. Les enfants qui ont reçu le vecteur de thérapie génique et l’ADN manquant vont bien, si l’on compare leur état à celui qu’induit l’évolution naturelle de la maladie." Le médecin admet volontiers que les résultats qu’il a obtenus ne sont "pas parfaits", même s'ils apportent un bénéfice. C’est pour cette raison qu’il estime que ce n’est pas le moment d’abandonner. "Nous voulons faire des progrès et continuer à soigner des enfants. Pour cela, il faut tester un nouveau protocole, avec cette fois-ci, une double injection : dans le cerveau et par voie intraveineuse."
"On a pas d’autre choix que de mendier"
Mais ce deuxième essai ne trouve pas de financement, contrairement au premier. "Nous avons été financés pour notre premier essai à 50% par l’AFM-Téléthon et à 50% par l’Institut Pasteur et l’Université ", détaille le Pr Tardieu. L'association AFM-Téléthon a jusqu’ici tenu le projet à bout de bras en payant la société néerlandaise UniQure pour qu’elle développe le très coûteux vecteur de thérapie génique. UniQure, qui devait prendre le relai de l’Institut Pasteur en investissant dans le développement du médicament s’est retiré du projet, finalement jugé trop peu lucratif. Et surtout, le Téléthon ne va pas, cette fois-ci, soutenir financièrement les travaux.
Les parents ont donc décidé de réunir les fonds par leurs propres moyens. Un état de fait qui révolte la mère d’Hugo et Emma, qui se sent abandonnée. "On se retrouve à mendier de l’argent, à aller pleurer auprès des gens. Si l’AFM-Téléthon était là pour nous soutenir, on n’en serait pas là", lâche-t-elle. La somme minimale de 4 millions a été estimée par l’Institut Pasteur. "Elle correspond aux fonds nécessaires pour payer le rachat du vecteur et la surveillance de l’essai", précise le Pr Tardieu.
Polémique entre experts
L’AFM-Téléthon se défend d’avoir délibérément "coupé les vivres" aux équipe qui veulent prendre la suite du Pr Marc Tardieu. Serge Braun, directeur scientifique de la fondation, estime que les conditions nécessaires pour allouer de l’argent à ce deuxième essai clinique ne sont pas réunies. "Nous sommes dépositaires de l’argent de la générosité publique, explique-t-il (chaque année, le Téléthon récolte environ 95 millions d’euros de promesse de don, ndlr). Nous faisons des appels à projets, qui sont étudiés par notre comité scientifique. Le premier critère de sélection, c’est la probabilité que le projet aboutisse. Dans ce cas précis, nous ne pouvons que constater qu’il n’y a ni projet scientifique solide, si porteur de projet. Ce n’est pas une question d’argent."
Une version des faits que conteste le Pr Tardieu. "Les porteurs des projets, nous les avons. L’équipe de recherche est prête. En ce qui concerne le protocole en tant que tel, nous sommes en pourparlers avec les autorités de santé pour voir s'il est nécessaire de générer de nouvelles données pré-cliniques. Si ce point est réglé et que nous pouvons racheter le vecteur, avec l’argent nécessaire, les essais pourront commencer dans un délai de quelques mois."
"Plus on se rapproche d'un médicament, plus c'est dur"
La situation complexe dans laquelle se trouve chacun des protagonistes est à l’image de la difficulté à développer de nouveaux médicaments, a fortiori lorsque la maladie concerne peu de patients. "Des histoires douloureuses comme celle des parents d’Hugo et Emma, nous en connaissons beaucoup", assure Serge Braun. Comme dans le cas des travaux de l’équipe du Pr Tardieu, les crispations surviennent souvent au moment de passer des phases pré-cliniques (sur les animaux) aux phases cliniques (chez de vrais patients), car c’est généralement le moment où l’association avec un industriel, en mesure de racheter le brevet et investir dans les recherches, devient indispensable.
En attendant cette aide des fonds privés, les projets sont développés, souvent sur de très longues années, par des instituts publics (Inserm, CNRS, Institut Pasteur…) puis des fondations comme l’AFM-Téléthon. "Aucun laboratoire public ne peut travailler sur ses fonds propres pendant 10 ans", explique Serge Braun. L’argent de la charité intervient pour soutenir les projets jusqu'à la phase clinique, mais est souvent nécessaire au-delà, tant les industriels ne se pressent pas aux portillons pour reprendre la main. "Plus on se rapproche d'un médicament, plus c'est dur. Nous avons présenté nos résultats à tous les grands industriels, avoue le Pr Marc Tardieu. Mais la maladie de Sanfilippo, c’est deux cas par ans en France, ca ne les intéresse pas. Le développement ne serait pas rentable."
Jamais assez d'argent pour lutter contre les maladies rares
Pour les parents d'Hugo et Emma, la situation semble pour l'instant bloquée et l'avenir reste sombre. Même si, de manière générale, les choses bougent du côté de l'industrie pharmaceutique. Les grandes firmes ont désormais des départements dédiés aux maladies rares, qui sont au nombre de 8000 et concernent 3 millions de personnes (dont la moitié en décèderont), rien qu'en France."Ils peuvent avoir un intérêt à investir lorsque la thérapie génique dans les maladies rares ouvre des perspectives pour les maladies plus fréquentes", explique Serge Braun.
Dans le long chemin du développement des médicaments, le rôle de l’AFM-Téléthon est d'une importance cruciale. La fondation a permis l’émergence de la thérapie génique et reste une pièce-maîtresse du financement. Mais elle ne fait pas face aux besoins. "Les moyens du Téléthon, représente une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Et de toute façon, dans les maladies rares, il n’y aura jamais assez d’argent", déplore Serge Braun.
A la demande de l'AFM et sur le fondement de l'article 6-IV de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, nous publions le droit de réponse suivant :
"Association de malades et de parents de malades, l'AFM-Téléthon comprend mieux que quiconque l'urgence qu'il y a à agir contre la maladie. C'est son combat quotidien ! Dès le mois de juillet, nous avons échangé avec les parents d'Hugo et Emma et, depuis, nous explorons toutes les voies possibles pour trouver une solution pour leurs enfants. Nous avons financé, grâce aux dons du Téléthon, le premier essai français de thérapie génique pour la maladie dont sont atteints Hugo et Emma, la maladie de Sanfilippo B, à hauteur de 7 millions d'euros (envion 80% du coût de l'essai). L'AFM-Téléthon est prête à financer la suite de cet essai lorsque le projet lui sera présenté. A date, aucun dossier de demande ne lui a été soumis. Pour être impliquée dans de nombreux essais de thérapie génique, l'AFM-Téléthon sait que la mise en place d'un nouvel essai est certes coûteuse mais surtout longue -plusieurs mois voire années- et complexe. Parce que pour Hugo et Emma il s'agit d'une course contre la montre, l'AFM-Téléthon a pris contact avec une société de biotechnologie américaine qui mène actuellement un essai de thérapie génique sur la même maladie. Des malades vont être inclus en Espagne ces prochaines semaines. Nous sommes prêts à accompagner la famille vers cet essai si elle souhaite y participer. En effet, face à l'urgence, nous n'avons qu'un seul objectif : le meilleur pour Hugo et Emma comme pour toutes les familles qui affrontent au quotidien des maladies rares dont nous refusons la fatalité.