"La crise de la psychiatrie est nationale et profonde"
Fermeture de lits, manque de personnel, locaux dégradés... La grogne monte dans les services de psychiatrie. Les explications du Dr Marie-José Cortès, psychiatre et membre du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH).
Depuis deux mois, l'hôpital psychiatrique Guillaume-Régnier de Rennes est en grève. Les soignants dénoncent le manque de moyens et de personnel. Une illustration du malaise que traverse actuellement la psychiatrie publique. Avignon, Lyon, Bourges, Amiens... Ces derniers mois, des mouvements similaires ont émergé dans plusieurs hôpitaux. Quelles sont les raisons de cette crise ? Les réponses du Dr Marie-José Cortès, psychiatre et membre du bureau national du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH).
- Quelles sont les difficultés rencontrées par les soignants dans les services de psychiatrie ?
Dr M-J Cortès : "Il n’y a pas de spécificité régionale. La crise que traverse la psychiatrie et la profession est nationale et profonde. Nous avons le sentiment que, depuis des années, la logique décisionnelle est exclusivement médico-économique. Elle n'associe pas forcément les soignants, les professionnels de terrain aux décisions qui sont prises et qui aboutissent à une difficulté très claire, celle d'exercer son métier dans les règles de l'art. La psychiatrie est une discipline particulière qui associe l'art de soigner aux données de la science. Et pour cela, il faut des humains, des infrastructures, des moyens adaptés…
"Il ne faut pas que, chaque jour, les gens arrivent en se demandant s'il va y avoir suffisamment de professionnels de terrain pour accueillir les patients comme il se doit, s'il va y avoir suffisamment de lits pour accueillir les patients lorsqu’ils doivent être hospitalisés, si on va fermer telle ou telle structure nous obligeant à un repli presque exclusif sur l'hôpital plutôt que sur les structures ambulatoires... Par essence, la psychiatrie est quelque chose qui soigne à l'extérieur de l'hôpital, et pas exclusivement à l'hôpital. En 2018, on n'en peut plus. Cela doit cesser. Si nous continuons sur ce chemin, nous ne pourrons plus rendre les missions qui sont attendues aux patients et à leur entourage. Surtout que de jour en jour, les missions sont de plus en plus larges avec des moyens de plus en plus contraints et des injonctions de plus en plus contradictoires."
- Quelles sont les conséquences pour les patients de cette situation ?
Dr M-J Cortès : "Pour les patients, c'est l'impossibilité parfois de leur faire faire des choses qui sont l'art et la dentelle de la psychiatrie. Par exemple, sortir avec un patient qui est hospitalisé pour l'accompagner sur un temps suffisant et nécessaire pour une démarche spécifique. Ou par exemple, prendre beaucoup plus de temps pour contenir quelqu'un par la parole et avoir un tout petit peu moins besoin de le contenir par des murs. Ça peut avoir des conséquences sur des pratiques qui ne sont pas tout à fait comme nous souhaitons qu'elles le soient. Conséquence pour les professionnels : une perte de sens de ce qu'est leur métier et du coup, une plus grande difficulté à avoir le sentiment qu'ils aident les patients comme il le faut."
- La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé le déblocage de 44 millions d'euros pour la psychiatrie. Est-ce suffisant ? Avez-vous l'impression d'avoir été entendus par les pouvoirs publics ?
Dr M-J Cortès : "Oui, nous avons l'impression d'avoir été entendus puisqu'il y a un geste de Noël… Est-ce suffisant ? Pour cela, il faudrait faire le détail des besoins spécifiques sur l'ensemble du territoire national. C'est un premier pas."