La nicotine inspirera-t-elle un jour un traitement de la schizophrénie ?
EN BREF – Si les personnes souffrant de schizophrénie tendent à être dépendantes à la cigarette, ce n’est pas un hasard, expliquent des chercheurs français. Sur le modèle animal, la nicotine rétablirait l’activité normale des cellules nerveuses impliquées dans cette pathologie. Si ces travaux étaient confirmés, il resterait à trouver une molécule voisine qui n’aurait pas les divers effets négatifs de la nicotine…
Dans un communiqué conjoint diffusé ce 23 janvier, plusieurs instituts publics de recherche français détaillent les résultats à paraître sous peu dans la revue Nature Medicine.
"Il a été constaté que les patients schizophrènes avaient fréquemment recours au tabagisme comme automédication pour compenser les déficits dus à leur maladie ou pour les soulager des lourds effets secondaires de leur traitement (léthargie, perte de motivation,…)", expliquent notamment l’Institut Pasteur et le CNRS. Par ailleurs, d’autres travaux ont montré, chez des individus sains, que l’activité du cortex préfrontal [1] était modulée par certains neurotransmetteurs (l’acétylcholine), par l’intermédiaire de récepteurs nicotiniques [2] situés à la surface des cellules nerveuses. Ce même cortex préfrontal fait partie des zones dysfonctionnelles dans une pathologie comme la schizophrénie.
Un lien désormais établi
L’hypothèse d’une relation entre tous ces faits devait passer l’épreuve de l’expérimentation. Or, récemment, une mutation génétique liée au profil des récepteur nicotiniques, a été identifiée comme étant associée aux troubles cognitifs des schizophrènes. Les chercheurs qui publient aujourd’hui dans Nature Medicine ont introduit ce gène muté chez la souris "afin de reproduire les déficits cérébraux caractéristiques de la schizophrénie, à savoir les troubles comportementaux lors des interactions sociales et des tâches sensorimotrices". Grâce à une technique d’imagerie in vivo , les chercheurs ont pu constater "une activité diminuée de [certaines] cellules du cortex préfrontal", en l’occurrence les interneurones (de petits neurones qui établissent des connexions entre des réseaux de neurones).
"Les travaux portant sur ce modèle de la maladie montrent également que lorsque nous administrons de la nicotine, celle-ci se fixe sur les récepteurs nicotiniques des interneurones, et influence l’activité [des cellules du cortex préfrontal] qui retrouvent un état d’excitation normal" commente dans le communiqué Fani Koukouli, co-auteure des recherches.
Uwe Maskos, également co-auteur des travaux, note que "[le] rétablissant une activité normale du cortex préfrontal [par la nicotine] laisse présager une possible cible thérapeutique pour le traitement de la schizophrénie". Le CNRS et l’Institut Pasteur notent que la molécule thérapeutique "devra alors présenter la même forme que la nicotine sans en avoir les effets nocifs (dépendance, vieillissement cellulaire, accélération de l’activité cardio-vasculaire…)".
Publication : Nicotine reverses hypofrontality in animal models of addiction and schizophrenia, Fani Koukouli et al. Nature Medicine, 23 janvier 2017
[1] Le cortex préfrontal est une zone associée à la prise décisions et la mémoire dite "de travail".
[2] Comme le précisent les institutions qui cosignent le communiqué, les récepteurs à acétylcholine, également appelés récepteurs nicotiniques, "sont situés dans la membrane cellulaire et sont sensibles aux neurotransmetteurs. Ils agissent comme des pores de communication entre le milieu intérieur de la cellule et l’extérieur. Ces récepteurs sont impliqués dans diverses fonctions du système nerveux central, en particulier dans le contrôle des mouvements volontaires, la mémoire, l'attention, le sommeil, la douleur ou encore l'anxiété. La nicotine est un des agonistes de ces récepteurs, c’est-à-dire qu’elle agit sur ces cibles à la place de l’acétylcholine".