Les personnes souffrant de troubles mentaux ont une espérance de vie plus courte
Le moindre accès aux soins et la prévention déficiente entraînent une mortalité précoce chez les patients atteints de maladie mentale.
"La perte d’espérance de vie des personnes souffrant de schizophrénie est estimée à 15 ans (1)." La terrible affirmation du Pr Cédric Lemogne, professeur de psychiatrie à l’université Paris-Descartes, vient d’être confirmée par une étude parue dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) mardi 24 octobre. Elle montre que les personnes souffrant de certains troubles mentaux meurent bien plus tôt que la population générale. "Pour les hommes comme pour les femmes, l’âge moyen au décès était particulièrement bas pour la schizophrénie (respectivement 55,9 ans et 67,6 ans) et pour les troubles mentaux liés à l’alcool (respectivement 59,4 et 60,7 ans)", écrivent les trois auteurs de l’étude (2). Ceux-ci se sont fondés sur la base nationale du CepiDc-Inserm pour analyser près de 800.000 décès survenus en France de 2000 à 2013 et leurs causes associées.
"Le trouble mental va entraver l'accès aux soins"
La perte d’années de vie s’explique notamment par un déficit de prise en charge médicale pour ces personnes. "Le trouble mental va entraver l’accès aux soins, explique le Pr Cédric Lemogne. Ce manque de soins est lié à la difficulté d’identifier certains symptômes physiques et aussi à la difficulté de mettre en œuvre les actes adaptés." La maladie psychiatrique peut atteindre la capacité des patients à exprimer une douleur par exemple. Un obstacle aggravé par le cloisonnement entre les différentes disciplines médicale. "Un psychiatre va s’occuper de psychiatrie et un cardiologue de cardiologie", résume le Pr Lemogne, responsable de l’unité psychiatrique de liaison à l’Hôpital Européen Georges-Pompidou.
En plus, certains spécialistes sont parfois réticents à traiter les patients souffrant de schizophrénie, jugés "compliqués". Le temps et l'énergie à leur consacrer peuvent être plus importants que pour d'autres patients, parce qu'il leur est parfois plus difficile de préciser l'évolution de leurs symptômes par exemple. Résultat, "ces patients reçoivent fréquemment des procédures médicales dégradées, déplore le Pr Lemogne. On ne leur propose pas les dépistages dont ils auraient besoin et on diagnostique plus tardivement les affections dont ils souffrent, ce qui est bien démontré avec le cancer."
Une insuffisante prévention du suicide
Selon l’étude parue dans le BEH, la mortalité précoce de ces patients s'explique aussi par un plus fort taux de suicide. Les auteurs soulignent sur la nécessité d'améliorer la prévention de ce risque spécifique, mais aussi d'autres dangers liés à des "habitudes de vie délétères pour la santé". La consommation de tabac, d’alcool, de drogue est plus importante chez ces malades, tout comme leur mauvaise alimentation et leur sédentarité. Malheureusement, là encore, le système sanitaire est défaillant. "On sait que les stratégies de prévention qui sont efficaces chez les sujets indemnes de schizophrénie marchent aussi chez les patients atteints de schizophrénie, affirme ainsi le Pr Lemogne. Mais elles sont simplement moins mises en place."
Ce psychiatre insiste donc sur l'urgence d'une meilleure prise en charge, d'une meilleure prévention mais aussi d'un arrêt de la stigmatisation des personnes souffrant de troubles mentaux. "Parler de quelqu’un comme d’un schizophrène, cela le réduit à sa maladie, alors qu’il est bien plus que ça." Avec l’idée que l’accès aux soins sera sans doute bien plus facile le jour où ces malades seront mieux considérés.
(1) The cost of mental disorders in France, European Neuropsychopharmacology, Volume 23, Issue 8, August 2013, Pages 879-886. Karine Chevreul, Amélie Prigent, Aurélie Bourmaud, Marion Leboyer, Isabelle Durand-Zaleski.
(2) MORTALITÉ DES PERSONNES SOUFFRANT DE TROUBLES MENTAUX. ANALYSE EN CAUSES MULTIPLES DES CERTIFICATS DE DÉCÈS EN FRANCE, 2000-2013
Catherine Ha, Elsa Decool, Christine Chan Chee