Génocide au Rwanda : quelle prise en charge pour les rescapés ?
Vingt-deux ans après le génocide au Rwanda, les massacres hantent encore les esprits de la population. Qui sont les victimes directes de ces massacres ? Ont-elles été prises en charge ? Pourquoi le deuil est-il difficile ? Les explications avec Hejer Tliha, journaliste du Magazine de la santé.
Le génocide au Rwanda s'est produit dans l'indifférence de la communauté internationale, en 1994, du mois d'avril au mois de juillet. Trois mois de terreur durant lesquels un million de personnes sont mortes dans des conditions effroyables à coups de fusils et de machettes. Parmi les victimes, il y avait 300.000 enfants.
Cette catastrophe humanitaire s'est déroulée dans un climat de racisme interethnique latent. La plupart des victimes étaient des Tutsis assassinés par les Hutus.
Des massacres qui ont laissé des traces
Ces massacres ont laissé des traces dans les mémoires du peuple rwandais. On n'efface pas des images de massacres du jour au lendemain, on parle de choc post-traumatique. Au Rwanda, selon des recherches menées en 2009, deux millions de Rwandais soit près de 30% de la population souffrent de troubles post-traumatiques. Le choc ou stress post-traumatique correspond à des troubles anxieux qui surviennent après un évènement traumatisant. Et ces troubles surviennent chez les victimes directes ou indirectes du génocide pour les Rwandais.
Les victimes directes sont les femmes qui se sont retrouvées veuves du jour au lendemain, 50.000 au total. La plupart manifeste des signes de dépression. Plus de 600.000 enfants rescapés du génocide sont devenus orphelins. Il y a aussi eu des femmes violées, 250.000 au total, pendant le massacre qui ont perdu leur estime de soi. Certaines d'entre elles ont contracté le sida. C'est en quelque sorte la double peine pour elles, voire la triple peine parce qu'elles ont été rejetées.
Quelle prise en charge pour les victimes ?
En 1995, la santé mentale des Rwandais devient une priorité politique. Mais il n'y a ni infirmiers spécialisés en santé mentale, ni psychologues cliniciens encore moins de psychiatres pour prendre en charge les victimes du génocide et les génocidaires. Et le terme traumatisme en kinyarwanda, qui est une des trois langues officielles du pays, n'existe pas. Avant le génocide, la santé mentale était l'affaire de la communauté qui avait recours à la médecine traditionnelle. Il a même fallu trouver un mot pour définir le terme traumatisme.
Les ONG, elles, ont géré dans un premier temps l'urgence alimentaire, puis elles ont vite compris l'importance d'apporter une aide psychologique, un soutien aux personnes qui ont vécu ce cauchemar.
Groupes de parole et entretiens individuels...
Une association a vite senti ce besoin urgent d'aider les Rwandais. Handicap International est en effet intervenue au lendemain du génocide d'abord avec des programmes de réadaptation pour les personnes mutilées puis après, avec la création de groupes de parole notamment à travers des ateliers et des entretiens individuels.
La tâche d'Augustin Nziguheba, psychologue responsable de projet pour l'association, a été difficile parce que culturellement, on évoque très peu le passé. Selon lui, les victimes ont mis près de cinq ans avant de parler des massacres. Et aujourd'hui encore, 22 ans après le génocide, les langues se délient, les esprits continuent à se libérer.
Ces groupes de paroles intègrent victimes et bourreaux. Cela peut paraître surprenant mais, c'est une réalité. Réconcilier, créer un environnement favorable, ont été deux volontés du gouvernement après le génocide. Il faut savoir que 120.000 personnes ont été condamnées pour leur responsabilité criminelle dans ce génocide. Si tous les génocidaires n'ont pas été jugés, ce passage devant un tribunal a quand même permis de réconcilier les communautés.
Ainsi, des victimes arrivent aujourd'hui à parler aux personnes qui ont tué leur famille. Un documentaire rend bien compte de cette volonté de vivre ensemble. Il s'agit d'un film, Rwanda : du chaos au miracle, réalisé par Sonia Rolland, l'ex-miss France d'origine rwandaise.
Le difficile travail de deuil
Faire le deuil pour les familles des victimes reste pour certaines encore difficile. Cela est notamment dû à ce que les Rwandais appellent les "mauvaises morts". Au Rwanda, les croyances sont fortes et on considère que les esprits des personnes mortes dans les massacres peuvent errer, hanter les familles. Il est donc difficile de faire son deuil.
Et même 22 ans après ces massacres et toute cette violence, les commémorations sont encore très douloureuses parce qu'elles ravivent les blessures.