Projet de loi El Khomri : la médecine du travail en danger ?
C'est un texte explosif qui suscite la polémique depuis plusieurs jours : la réforme du code du travail ou "loi El Khomri" (du nom de la ministre du Travail). Les syndicats sont vent debout, tout comme une partie de la gauche. Ce matin, lundi 29 février 2015, le gouvernement a annoncé retarder de deux semaines la présentation du projet de loi en Conseil des ministres. Il souhaite se laisser le temps pour d'éventuels ajustements. Le texte comporte plusieurs mesures concernant la médecine du travail. Le point avec le Dr Martine Keryer, médecin du travail et secrétaire nationale à la CFE-CGC.
- Pour vous, cette loi est-elle un progrès pour la médecine du travail ?
Dr M. Keryer : "Cette loi n'est absolument pas un progrès, surtout pour les salariés. Jusqu'à présent, ils avaient accès à un médecin du travail depuis 60 ans quelque soit leur poste de travail, leur métier... Avec ce projet de loi, nous avons peur que ce droit à l'accès au médecin du travail disparaisse."
- Le texte prévoit le remplacement de la visite médicale d'embauche par une visite de "prévention" réalisée par un infirmier (et non plus par un médecin). Est-ce une solution pour désengorger la médecine du travail ?
Dr M. Keryer : "Dans cette loi, on crée une médecine du travail à deux vitesses, avec d'un côté les salariés sur des postes de sécurité ou à risques et les autres. Les salariés sur ces postes à risques auront accès à un médecin du travail qui va émettre une fiche d'aptitude. Pour les autres populations qui ne sont pas des salariés à risques, ou en tout cas qui ne sont pas à risques visibles, je pense notamment aux cadres, aux techniciens, aux personnels des hôpitaux... Ils n'auront pas accès au médecin du travail en première intention.
"Le salarié aura accès à un membre de l'équipe médicale, médecin ou infirmier. Il n'y aura donc plus d'accès systématique au médecin du travail. Et cette visite de prévention ne donnera plus lieu à une fiche d'aptitude. En même temps, par cette loi, on supprime l'aptitude médicale qui était une protection pour le salarié. Elle permettait aux médecins de faire des propositions de postes de reclassement."
- Autre mesure : l’espacement des visites médicales pour les salariés. Aujourd'hui, elles sont obligatoires tous les deux ans. Ce n'est plus le cas dans le projet de loi. Pourquoi ces bilans de santé sont-ils importants pour les salariés ?
Dr M. Keryer : "A la date d'aujourd'hui, il n'y a même plus de précision concernant ce délai. Ce sera défini par décret. Ce qui veut dire que les personnes qui subissent des risques psycho-sociaux au quotidien ne connaîtront plus leur médecin du travail, n'auront plus accès à lui... Il y a tout un pan de prévention des risques psycho-sociaux, et notamment du burn-out, qui ne sera pas fait par les médecins du travail."
- Est-ce qu'au final, on ne tend pas vers la suppression de la médecine du travail ?
Dr M. Keryer : "Si cette loi va au bout, c'est d'abord la mort de la protection pour les salariés. C'est donc inquiétant. Et c'est la mort d'une médecine du travail, avec des médecins du travail. Il y aura toujours dans les services de santé au travail des infirmiers et des préventeurs. Mais il n'y aura plus de médecins du travail. C'est le but de plusieurs gouvernements depuis fort longtemps. La pyramide des âges des médecins du travail est très élevée et il n'y a pas eu de remplacements prévus."