Fin de vie : Jacqueline Jencquel refuse "qu’on prenne la décision pour elle"
Jacqueline Jencquel, militante pour le droit à mourir dans la dignité, a récemment annoncé avoir programmé sa propre mort pour janvier 2020. Elle revient sur la polémique provoquée par ses déclarations.
"J’ai accepté les interviews sans trop réfléchir. D’un seul coup, je me trouve au milieu d’une tempête médiatique sans l’avoir voulu" confie Jacqueline Jencquel. Depuis quelques jours, la septuagénaire, qui a notamment été interviewée par Konbini, est sur-sollicitée. Il faut dire que sa prestation a fait parler. Mme Jencquel, qui milite à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et en a été vice-présidente, y est simplement présentée comme une femme n’ayant aucun souci de santé particulier. Volontairement provocatrice, elle y affirme en des termes crus qu’elle ne supporte pas la vieillesse et qu’elle a programmé son suicide assisté en Suisse pour janvier 2020. Très vite, les commentaires ont fusé : Jacqueline Jencquel serait une femme superficielle, qui voudrait mettre fin à ses jours par coquetterie et égoïsme. Et le débat sur la légalisation de l’euthanasie en France était relancé.
"La condition de la pratique du suicide assisté en Suisse, c’est d’avoir une pathologie invalidante"
Pourtant, l’histoire de Mme Jencquel est bien plus complexe. "On me décrit comme une mondaine qui souffre de ne plus être belle. Mais à 75 ans franchement, vous pensez que je n’ai pas eu le temps de m’en rendre compte ? Ce discours est absurde", s’indigne-t-elle. En réalité, sa décision est murie depuis des années. Elle tient d'ailleurs un blog sur le sujet. Qui plus est, le suicide "par caprice" est tout bonnement impossible sur le plan juridique, même en Suisse. Comme le note Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD, "la condition de la pratique du suicide assisté en Suisse, c’est d’avoir une pathologie invalidante, pas d’être devenu âgé et d’en avoir marre de la vie". Même si elle le souhaitait donc, Mme Jencquel ne pourrait choisir de programmer sa propre mort sans motif "valable".
Dans le cadre de ses activités au sein de l'ADMD, Jacqueline Jencquel a par ailleurs l’habitude d’accompagner, d'aider et de rassurer des personnes en fin de vie. Par ailleurs, son propre père a été placé en Ehpad quand elle était plus jeune. Mme Jencquel connaît donc très bien le fonctionnement de ces établissements et la situation de leurs pensionnaires. Pour elle, s’y retrouver serait pire que tout, et elle a le sentiment que cette hypothèse devient chaque jour de plus en plus plausible. "Je sais que le vieillissement est inexorable. Je commence à avoir des signes de sénilité précoce", indique-t-elle, lucide. Jacqueline Jencquel s'inquiète notamment pour sa mémoire. "Il y a des choses qui me font peur. Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait hier, je ne sais pas quel jour on est aujourd’hui…" confie-t-elle.
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Pour le moment, celle-ci est suffisamment lucide pour décider du moment où elle partira. Mais ce ne sera peut-être plus le cas dans quelques années : "Quand on est très vieux, bourré de médicaments et de somnifères, on n’a plus la force de dire ce qu’on veut : c’est pour ça que je veux prendre cette décision à temps. Je n’ai pas envie qu’on la prenne pour moi." C'est pourtant ce qui risque d'arriver en l'état actuel de la loi française, selon elle. Car pour le moment, en France, c’est la loi Claeys-Leonetti qui est en vigueur : elle confère au patient "en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable" le droit de refuser ou d’arrêter les traitements, voire de bénéficier d’une sédation profonde et continue. Mais elle est peu connue et appliquée de manière inégale en fonction des services. Pour Jacqueline Jencquel, programmer son suicide assisté en Suisse serait donc une manière d'échapper à la loi française qui ne lui permettrait pas de finir ses jours dans la dignité.
D’autant que la perte d’autonomie lui glace le sang. C’est sur ce point particulier que Mme Jencquel veut mettre l’accent : pour elle, les personnes âgées dépendantes sont traitées comme des enfants, une situation scandaleuse à ses yeux. "Même si on vous met dans un Ehpad de luxe, où on vous changera, on vous donnera des bains, on fera des séances de yoga, ce sera toujours infantilisant. On vous amuse comme si vous étiez un gamin, c’est très déprimant !", déplore-t-elle.
Comme expliqué sur le site des Etats généraux de la bioéthique, l’euthanasie "est un acte destiné à mettre délibérément fin, à sa demande, à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable". On distingue l’euthanasie active (un tiers administre une substance létale) de l’euthanasie passive (on renonce aux traitements). Le suicide assisté, ou aide au suicide, est légèrement différent : "Un médecin ou un tiers prescrit ou fournit une substance létale que le malade s’administre lui-même", précise le site. En Suisse, l'euthanasie active n'est pas autorisée, mais l'euthanasie passive et le suicide assisté sont tolérés. En Belgique, l’euthanasie active est dépénalisée.
Des propos pris au premier degré qui desservent la cause
Mme Jencquel préfère donc partir avant de connaître cette déchéance. Mais elle le répète : ce n’est que son avis, qui est bien sûr subjectif, et sa décision n’engage qu’elle. Elle parle d’ailleurs en son nom propre, et en aucun cas pour l’ADMD. Aujourd’hui, elle regrette que certains de ses propos, prononcés sur le ton de la plaisanterie, aient été pris au premier degré. Elle craint d’avoir desservi la cause, même si la vidéo de Konbini a fait plusieurs millions de vues et donné de la visibilité à son combat. "Ce que je veux, c’est changer la situation pour les personnes qui souffrent [et souhaitent recourir à un suicide assisté ou une euthanasie], et décriminaliser les médecins qui les aideraient", souligne-t-elle.
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Un message qui n’a visiblement pas été compris de tous. Aujourd’hui, Jacqueline Jencquel est accusée par certains de faire la promotion d’une euthanasie de masse. Et elle est sidérée : "Je n’ai jamais dit ça ! C’est terrible, je suis 150 000 fois contre une chose pareille ! C’est scandaleux." D’après elle par ailleurs, cette affirmation est d’autant plus absurde que légaliser le suicide assisté ne conduirait à aucune dérive. Elle en veut pour preuve la situation en Belgique, qui a légalisé l'euthanasie active sous conditions en 2002 : en 2015, 2021 cas d’euthanasie active ont été recensés, pour une population de 11,27 millions d'habitants. "Quand on dit qu’il y aura des dérives, qu’on va tuer toutes les personnes âgées, ce sont des mensonges. Ce n’est pas du tout ça qu’on recherche, et d’ailleurs, la population française le sait", s’indigne Mme Jencquel.
D’après un sondage Ifop publié le 3 janvier 2018 par La Croix, 89% des Français sont favorables au suicide assisté. Pour l'ADMD, il faudrait donc légaliser le suicide assisté ou l’euthanasie (voir encadré). Cependant, les Etats généraux de la bioéthique, qui ont pris fin cet été, n’ont pas réussi à dégager de consensus sur la question.
En 2015, le cas d'une Belge de 24 ans avait fait grand bruit. Celle-ci, atteinte d'une très lourde dépression (caractérisée d'"affection neuropsychique") avait pu être euthanasiée. Selon l'avocate Jacqueline Herremans, membre de la commission de contrôle euthanasie en Belgique, sur environ 1900 euthanasies réalisées chaque année dans le pays, une soixantaine de cas concernent des malades psychiatriques.