Précarité : les Français inégaux devant la fin de vie
La question de la fin de vie ne se réduit pas aux débats autour de l'accompagnement des mourants et à celle de l'euthanasie ou du suicide assisté. L'Observatoire National de la Fin de Vie (ONFV) publie ce 7 janvier 2015 un rapport mettant en lumière les difficultés rencontrées par les personnes en situation de précarité (SDF, personnes sous le seuil de pauvreté ou isolées). La société française en général, et son système de santé en particulier, apparaît aujourd'hui peu armée pour faire face à cette réalité.
Sur la base de neuf études réalisées en 2014 par ses chercheurs, l'Observatoire National de la Fin de Vie (ONFV) présente aujourd'hui un rapport destiné à sensibiliser l'opinion et les pouvoirs publics sur l'accompagnement de la fin de vie des personnes en situation de précarité (voir encadré).
Concernant les personnes les plus marginalisées socialement, l'ONFV constate que la question de leur fin de vie "n'est pas pensée", "puisqu'aucun lieu n'est réellement prévu en volume suffisant pour les accueillir". Seuls 60 lits d'accueil médicalisés (LAM, structures adaptées pour accueillir les personnes en grande précarité et gravement malades ou en fin de vie) étaient ouverts en 2014, dans trois villes de métropole.
Selon les données recueillies par l'Observatoire, en 2014, "en moyenne, 1,5 résident par Centre d'hébergement et de réinsertion sociale était en fin de vie (maladie grave en phase avancée ou terminale connue de l'établissement), dans des locaux souvent inadaptés." Plus du tiers des personnes en fin de vie en situation de précarité entrent à l'hôpital par les Urgences. "Cela reste le mode principal d'accès aux soins des personnes en grande précarité." Les décès surviennent majoritairement à l'hôpital.
Les personnes sans domicile fixe, en situation d'extrême précarité, décèdent en moyenne 28 ans plus tôt que la moyenne de la population (49 ans contre 77 ans sur la période 2008-2010). L'ONFV insiste sur le fait que "l'âge biographique" des personnes – l'usure générale de leur organisme, du fait de leurs conditions de vie – n'est que peu pris en compte par les dispositifs d'accueil.
D'autres précarités
La précarité peut parfois être engendrée par la maladie elle-même, qui isole professionnellement et socialement le patient (mais aussi sa famille).
C'est la situation rencontrée par la moitié des patients précaires en fin de vie, accompagnés par les assistants des services sociaux hospitaliers.
"L'accompagnement de fin de vie des personnes en situation de précarité n'est pas encore une pratique partagée et solidaire", déplore l'ONFV. "Les professionnels pensent qu'il s'agit « de l'affaire des autres professionnels » et notamment [de ceux] du sanitaire."
Les infirmiers et les aides-soignants intervenant dans le cadre de l'hospitalisation à domicile (HAD) seraient une minorité à être formés à l'accompagnement de fin de vie ou aux soins palliatifs. Concernant les pensions de familles, seules 16% d'entre elles auraient en leurs murs des professionnels sensibilisés (et/ou formés) à l'accompagnement de fin de vie.
Penser l'accompagnement de la fin de vie des précaires
"Si nous n'y prenons garde", expliquent les auteurs du rapport, "la fin de vie des personnes en situation de précarité pourrait continuer d'être ignorée car ni l'organisation de notre système de santé, ni la formation des professionnels, ni les structures d'hébergement n'ont réellement intégré cette issue (la fin de vie) pourtant inévitable et réelle des personnes en situation de précarité".
Afin de pendre en compte cette réalité, l'ONFV a formulé plusieurs préconisations à destination des pouvoirs publics.
Il invite notamment à maintenir, dans les hôpitaux, des lits dédiés aux personnes en situation de précarité et en fin de vie. Les équipes doivent être formées à ces enjeux, et doivent pouvoir se déployer dans les différents services où leurs compétences spécifiques peuvent être requises.
Plus généralement, les acteurs accompagnant des personnes précaires en fin de vie, à l'échelle d'un territoire, doivent être formés à mieux se coordonner entre eux.
Dans son étude, l'Observatoire définit les personnes précaires comme "des personnes vivant dans une insécurité qui ne leur permet pas d'assumer seules leurs obligations professionnelles familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux".
Les indices de cette précarité sont nombreux : revenus insuffisants (perte de revenus parfois en lien avec une maladie), recours nécessaire à des aides d'urgence (notamment alimentaire), grandes difficultés de communication interpersonnelles ou administratives, perte de logement, isolement, discrimination ou rejet liés à la maladie…