Décès aux urgences : le coup de gueule d'un médecin
Après le décès d'une femme aux urgences de l'hôpital Lariboisière le 18 décembre, le Dr Sophie Crozier, chef de service à la Pitié Salpétrière dénonce un système à bout de souffle.
Le Dr Sophie Crozier est membre du Comité Consultatif National d'Ethique et responsable de l'unité des urgences cérébro-vasculaires de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Elle tire aujourd'hui la sonnette d'alarme dans une tribune pour Libération dans laquelle elle dénonce la situation préoccupante des hôpitaux en France.
Sophie Crozier était l'invitée du Magazine de la santé ce jeudi 20 décembre. Elle dénonce une "situation déplorable sur le terrain" malgré la compétence, le professionnalisme et la bonne volonté des équipes.
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Le manque de lits et de personnel
Dr Sophie Crozier : "Nous passons notre temps à chercher des lits, tous les jours, puisqu'ils ont été réduits de façon importante pour raisons principales d'économies et de réorganisation. Et nous recherchons surtout des soignants. J'ai voulu m'exprimer au nom de tous les soignants qui n'ont pas souvent la parole et qui arrivent au travail la boule au ventre en se demandant s'ils vont pouvoir être remplacés, en ne sachant pas combien de temps ils vont travailler, combien de patients ils vont prendre en charge... Les personnels sont extraordinairement motivés, ils se dévouent à l'hôpital public, ils sont fiers de travailler dans ces hôpitaux et actuellement, ils sont dans des situations de souffrance professionnelle parce qu'ils ne sont pas en capacité d'assurer la qualité et la sécurité de la prise en charge des patients.
"On ne peut pas assumer des prises en charge de qualité et une sécurité des patients avec du personnel qui n'est pas formé et qui ne pourra pas donné le meilleur de lui-même. Et en plus, les professionnels sont dans des situations de souffrance (...) Aujourd'hui, on a des soignants qui arrivent et qui ne sont pas formés et donc les patients sont moins bien pris en charge, ce qui est inacceptable."
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L'inaction du ministère
Dr Sophie Crozier : "Les médias ont beaucoup rapporté des témoignages divers et variés. On a signé des tribunes. Aujourd'hui, on ne sait plus comment faire. On a alerté nos tutelles depuis des années. On nous dit qu'on nous comprend... En 25 ans, les choses ont énormément changé. Il faut prendre en compte ce que font remonter les soignants, qui aujourd'hui sont en souffrance quotidienne. On nous dit qu'on nous comprend, que les choses vont changer... on a des pistes...
"En France, le système de santé est formidable. On a une chance incroyable. On a un système solidaire, on a une prise en charge qui permet à chacun de pouvoir être soigné avec les meilleurs soins possibles, on a des hôpitaux extraordinaires, des hôpitaux universitaires avec des compétences et un personnel dévoué, hyper-compétent... Mais aujourd'hui, il n'y a aucune valorisation du travail, aucune prise en compte à la fois de la qualité de leur travail et de leur souffrance. Si au moins, on pouvait entendre cette souffrance, ce serait quelque chose d'essentiel."
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Vers la fin d'un système d'égalité et de qualité ?
Dr Sophie Crozier : "Je n'espère pas la fin de ce système. Je suis profondément attachée à notre système de santé et aux hôpitaux publics. J'espère que non, ce n'est pas la fin de ce système. Mais il est temps qu'on réagisse. C'est une question politique, de choix, d'arbitrage. Il faut revoir quelles sont les missions de l'hôpital public, est-ce que l'hôpital public doit prendre en charge les plus vulnérables, les patients les plus complexes, les plus gravement atteints... On ne peut pas les laisser en chemin, cela est inadmissible parce que les autres structures ne les prennent pas en charge. Il faut aussi peut-être se recentrer sur les missions de l'hôpital public aujourd'hui. Si une société n'est plus en capacité de s'occuper des plus vulnérables, c'est très préoccupant. Et aujourd'hui, on en est arrivé à ce point."
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Les pistes pour sortir de la crise
Dr Sophie Crozier : "Notre système de santé est très complexe. Un des éléments majeurs, c'est peut-être que l'organisation des projets de soins soit guidée non pas par la rentabilité, mais par les besoins de santé des patients. On a aujourd'hui développé des activités rentables, il y a des services rentables mais il faut prendre en compte tous les soignants, tous les services. On a été obligé de se réorganiser avec la tarification à l'activité pour que nos hôpitaux puissent être rentables, pour pouvoir être à l'équilibre financièrement avec une course à l'activité totalement délirante, avec des actes non justifiés pour les patients et des réductions de lits... Résultat, aujourd'hui, on ne peut plus délivrer des soins de qualité et avec une sécurité suffisante."