Hôpital : les femmes médecins discriminées
Selon une enquête réalisée par les syndicats Action Praticiens Hôpital et Jeunes Médecins, 69% des femmes estiment qu’elles feraient une autre carrière si elles étaient des hommes.
Discrimination à cause de la grossesse, marginalisation dans les équipes, épuisement, carrière freinée... Une femme n'est pas un médecin comme les autres à l'hôpital, comme le montre une enquête réalisée par les syndicats Action Praticiens Hôpital (APH) et Jeunes Médecins, à laquelle ont participé 3.150 praticiens de l'hôpital public. "De nombreuses femmes ne peuvent pas se former, s’auto-censurent et renoncent à leur projet professionnel parce qu’elles n’ont aucun accompagnement" explique la Dre Nicole Smolsky, anesthésiste-réanimatrice et présidente d'honneur d’APH.
69% des femmes interrogées estiment ainsi qu’elles feraient une tout autre carrière si elles étaient des hommes. La discrimination est particulièrement forte quand arrive la première grossesse : un tiers des répondantes considèrent que ces neuf mois ont pénalisé leur projet professionnel, et qu'elles ont déjà fait l'objet de discriminations pour cette raison. De plus, 6% d’entre elles affirment avoir renoncé à un congé maternité, soit par souci de carrière, soit car elles n'osaient pas le prendre.
62% des femmes décrivent un état d'épuisement chronique
Ainsi, les praticiennes hospitalières sont 6 sur 10 à continuer à prendre des gardes de nuit après trois mois de grossesse, contrairement à la réglementation, qui prévoit l'arrêt du travail de nuit à ce terme. Souvent pour des raisons financières : "La moitié de leur rémunération, ce sont les gardes", souligne Nicole Smolsky. Il arrive aussi qu'elles n'osent pas faire valoir leurs droits en tant que femmes enceintes, sachant qu'elles ne seront pas remplacées. La grossesse marque ainsi le début d'un décalage qui ne s'arrange pas après l'accouchement : 62% des femmes interrogées décrivent un état d'épuisement chronique, contre 46% des hommes.
Les syndicats pointent par ailleurs le renoncement à la formation continue, bien plus prononcé chez les femmes. Celles-ci sont en effet 49% à affirmer que leur premier souhait, si elles "avaient moins de contraintes familiales", serait de "se former davantage". Un regret qui ne concerne que 33% de leurs homologues masculins. "Ce chiffre monte à 67% chez les jeunes femmes. Elles sont encore plus en surrégime que les hommes : on leur demande d’assurer leur vie privée, et elles doivent en même temps se faire choisir pour un poste. C’est une double-vie" constate la Dre Smolsky.
- A lire aussi : "Hôpital : pas assez de femmes aux postes clés"
A cause de ce manque de formation et de cette fatigue chronique, la progression professionnelle de ces femmes est plus lente, parfois bloquée. "On constate un processus de marginalisation au sein des équipes. Il y a les praticiens qui vont aux congrès, et qui améliorent leurs connaissances, et ceux qui n’y vont pas" note la Dre Smolsky. Logiquement donc, les praticiennes hospitalières ont de plus grandes difficultés à accéder à des postes à responsabilités.
"On est dans la même configuration qu’il y a 50 ans"
Comment expliquer qu’aucun accompagnement n’existe pour ces femmes médecins ? D’après l’anesthésiste-réanimatrice, il n’y a jamais eu de réelle réflexion sur la place des femmes au sein de l’hôpital, malgré leur arrivée progressive dans le corps médical. "On est dans la même configuration qu’il y a 50 ans, quand le médecin hospitalier était un homme, et que sa femme, au foyer, pouvait s’occuper des problèmes domestiques" développe-t-elle. Pourtant, les femmes représentent aujourd’hui 47% des médecins hospitaliers.
Aussi l’APH et Jeunes Médecins proposent-ils plusieurs pistes pour pallier ces inégalités. Parmi elles, un congé paternité plus long et plus simple d’accès, ou la mise en place d’un observatoire des discriminations au sein de l’hôpital. "Il faut aussi procéder à des aménagements. Par exemple, si une femme enceinte n’arrête pas ses gardes, il faut faire analyser cette situation par un médecin du travail. Il est également nécessaire que les crèches, seulement ouvertes aux enfants d’infirmières et d’aides-soignantes, prennent en charge les enfants de médecins", ajoute Nicole Smolsky. Pour le moment, les pouvoirs publics n’ont pas réagi à l’appel des deux syndicats. Mais ce n’est que le début de la médiatisation, estime l’anesthésiste-réanimatrice : "Je suis optimiste pour la suite. On ne lâchera plus."