Médicaments pour enfants : des besoins spécifiques
Un enfant n'est pas un adulte en miniature. Et dans le domaine de la santé, les problèmes sont très différents entre un nouveau-né et un garçon de 17 ans. L'usage des médicaments en pédiatrie présente des spécificités. Les explications avec le le Pr Alain Astier, chef du service pharmaceutique de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (AP-HP).
Il n'y a pas de définition consensuelle de la pédiatrie. On dit qu'on est enfant jusqu'à la majorité légale (18 ans en France). C'est la définition de l'ONU, le dictionnaire de l'Académie dit "jusqu'à fin de l'adolescence". On distingue classiquement le prématuré, le nouveau-né (0-30 jours), le jeune enfant (de 1 mois à 1 an), l'enfant (de 1 à 12 ans) et l'adolescent (de 12 à 16 ans). La période nouveau-né est très spécifique.
La notion la plus importante est qu'un enfant n'est pas un adulte en miniature. Et les problèmes seront très différents entre un nouveau-né et un garçon de 17 ans.
Qu'est-ce qui caractérise l'enfant physiologiquement ?
L'enfance se caractérise par un état de développement et de croissance. Les paramètres physiologiques sont très différents de ceux de l'adulte : absorption, volumes de distribution, "maturité" enzymatique... Cela va jouer un rôle très important sur l'action et l'élimination des médicaments. De même, la période post-pubertaire est plus proche de l'adulte que de l'enfance.
La connaissance des médicaments chez l'enfant est limitée : peu d'essais cliniques (éthique, peu d'intérêt des labos), pathologies rares, peu de formes pédiatriques...
Une absorption différente ?
L'absorption va beaucoup dépendre de la voie d'administration. Par voie orale, à compter de 1 an, l'absorption est comparable à l'adulte sauf la possibilité de déglutir des gélules par exemple.
Un problème très important est la voie cutanée. La peau du jeune enfant est très hydrophile et laisse donc passer tout ce qui est très soluble dans l'eau. On a donc des risques d'intoxications graves surtout si on utilise des crèmes pour adultes ou de la cosmétologie (solutions alcooliques, parfums par exemple). On peut citer le cas d'intoxication au menthol que l'on trouve dans des lotions, par exemple le Synthol®.
Des volumes de distribution différents selon les âges
La notion de volume de distribution est très importante. Finalement, le volume de distribution d'un médicament ou d'un toxique correspond au volume de l'organisme dans lequel il se distribue, se dilue. On appelle cela des compartiments corporels. Pour un individu, on a un compartiment aqueux, hydrophile et un compartiment lipidique, lipophile.
Si le médicament est hydrophile, il va aller préférentiellement dans le compartiment aqueux et réciproquement. Plus le compartiment est grand, plus le médicament sera dilué et sa concentration sera basse. En général, pour agir un médicament doit avoir une concentration suffisante notamment dans le sang.
Ces volumes sont très différents en fonction de l'âge. Par exemple, chez le nouveau-né l'eau totale représente près de 75% du poids du corps pour 60% chez l'adulte mais surtout l'eau extracellulaire est de 45% chez le nouveau-né et 20% chez l'adulte (plus de deux fois supérieure). Pour une même dose de médicament par kilo de poids, on aura donc une concentration dans le sang plus faible que chez le nouveau-né.
Cela signifie qu'il faudra donner proportionnellement plus de ce médicament pour obtenir le même effet. Par exemple, pour un antibiotique comme la gentamicine, la dose chez le nouveau-né est de 3 mg/kg de poids contre 1 mg/kg chez l'adulte. On peut donc être conduit à donner proportionnellement plus à un enfant par rapport à un adulte. C'est le paradoxe. Un enfant n'est pas un adulte en miniature avec une réduction proportionnelle systématique : il pèse 10 kg, je vais lui donner sept fois moins que l'adulte de 70 kg. Ce n'est pas si simple.
Par exemple, la posologie de théophylline, un médicament de fond de l'asthme. Chez l'adulte, la posologie classique est de 10 mg/kg de poids. En fonction de l'âge, la dose sera initialement inférieure chez le nouveau-né. Puis celle de l'adulte jusqu'à 6 mois, puis entre 6 et 12 mois de 24 mg/kg soit près de 2,5 fois plus, puis une réduction progressive. L'explication : le métabolisme de la théophylline, son élimination par le foie, est plus faible chez le nouveau-né (immaturité enzymatique) et devient plus rapide que celle de l'adulte. Il faut donc augmenter les doses pour avoir des concentrations efficaces dans le sang.
Un marché étroit et peu "intéressant"
Il y a encore, sauf pour quelques médicaments à marge thérapeutique étroite, beaucoup d'empirisme dans les posologies en pédiatrie, notamment pour traiter des pathologies rares en pédiatrie. C'est très vrai avec beaucoup de médicaments très utilisés chez l'adulte pour des pathologies comme l'hypertension, des troubles du métabolisme etc., qui sont très rares chez l'enfant. Si on a besoin de les traiter, il n'y a très généralement pas d'AMM en pédiatrie, donc pas de données officielles sur lesquelles s'appuyer. Il y a souvent des essais publiés mais pas toujours de bonnes qualités, avec une population très réduite.
Le marché est étroit peu, "intéressant". Il y a eu des efforts pour promouvoir des essais cliniques en pédiatrie, mais cela reste un enjeu majeur.