Statines : la polémique fait-elle des victimes ?
Plusieurs livres ont récemment remis en cause l'intérêt des statines dans la prévention des maladies cardiovasculaires. Six cardiologues français viennent de publier une estimation du nombre de morts que pourrait causer, chaque année, la défiance à l'égard de ces médicaments.
Controverse sur les statines, deuxième round. D'un côté, le professeur Philippe Even, auteur de plusieurs ouvrages affirmant que les médicaments anti-cholestérol, prescrits en prévention d’événements cardiovasculaires, ne servent à rien. De l'autre, six cardiologues qui, à la suite de la dernière publication du professeur Even, ont interrogé 142 de leurs patients sur l'opinion qu'ils avaient de leur traitement. Extrapolant les résultats de leur sondage à l'ensemble de la population, les cardiologues annoncent que près de 4.500 "évènements cardio-vasculaires majeurs" et 1.160 décès surviendraient chaque année en France, si les patients abandonnaient leur traitement. L'analyse a été publiée en ligne le 27 septembre 2013, dans les Archives of Cardiovascular Diseases.
Marges d'erreur
1.160 morts par an... Un chiffre asséné comme un coup de poing, mais pas forcément avec beaucoup de précision. Tout d'abord, ces "sondages" effectués sur 37 patients traités en prévention primaire (avant un événement cardiovasculaire) et sur 105 patients en prévention secondaire (prévention de la récidive) ont une marge d'erreur extrêmement importante. Les auteurs affirment que "24,3% de [leurs] patients en prévention primaire" avaient l'intention d'arrêter leur traitement. Outre le fait que déduire un pourcentage de moins de cent cas est en soi critiquable, il est indispensable de préciser que le pourcentage "pour toute la population des malades" sera, au mieux, vrai à plus ou moins dix points.
Une marge d'erreur analogue (de près de huit points) doit être appliquée lorsque l'on rapporte les 8,6% de patients interrogés à la population de malades dans son ensemble...
Prévention primaire ou secondaire ?
Pour ce qui est de la prévention secondaire des maladies cardiovasculaires, l'intérêt des statines est actuellement appuyé par de nombreuses études. Selon nombre d'études épidémiologiques, l'arrêt du traitement semble bel et bien dangereux pour les patients. Qu'une dizaine de patients des six cardiologues ait pu déduire des écrits du Pr Even qu'une interruption du traitement était nécessaire n'est peut-être pas anodin. Une tribune dans la presse invitant les cardiologues français à réexpliquer à leurs patients le danger de l'arrêt des traitements aurait ici été plus percutant qu'une étude statistiquement faible, déduisant trop rapidement des milliers de décès.
Quant à la prévention primaire des maladies cardiovasculaires par les statines, force est de reconnaître qu'un débat anime aujourd'hui la communauté médicale. Les statines n'étant pas sans effets secondaires, des voix se sont élevées ces dernières années pour dénoncer leur possible sur-prescription.
La médiatisation des ouvrages du Pr Even a probablement fait connaître l'existence de ce débat au grand public. Les auteurs de l'étude, publiée dans les Archives of Cardiovascular Diseases, redoutent en fait que "dans un contexte de suspicion grandissante vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique" les patients suivis en prévention primaire décident seuls de l'interruption de leur traitement, à la seule lecture d'un livre, sans échanger avec leur cardiologue. Difficile pourtant de connaître le nombre réel de patients qui cesseraient leur traitement sans en référer à leur médecin.
Le débat scientifique autour des statines se poursuit en même temps que le combat médiatique. Le "choc" des chiffres avancés permettra peut-être aux cardiologues de frapper l'esprit d'une partie du public. Mais quelle que puisse être la légitimité de leur combat, les coups qui viennent d'être donnés ne risquent pas de mettre KO les plus farouches opposants aux statines.
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