Des lobbies qui débauchent dans le secteur public
Michèle Rivasi, députée européenne, a lancé le 5 janvier 2015 un appel pour une opération mains propres sur la santé. Cet appel a pour objectif de faire pression sur les futures lois de santé. Michèle Rivasi a réussi à rassembler un panel de signataires assez hétéroclite constitué de médecins, de pharmaciens ou encore d'élus… formant ainsi un lobby. Les explications avec Rudy Bancquart.
Cet appel prône une lutte contre les conflits d'intérêts et une réforme de la politique du médicament avec notamment une refonte de la fixation des prix du médicament qui est loin d'être transparente en France. Cela permettrait selon le collectif, de faire une économie de dix milliards d'euros et de sauver notre système de santé. Il faut se méfier de ce chiffre car il est en réalité très difficile d'évaluer ce type d'économie.
Un appel inspiré d'une opération italienne
Cet appel est inspiré d'une opération italienne intitulée "Mani pulite" qui a porté ses fruits. L'Italie a en effet réagi entre 1982 et 1992 en menant une opération coup de poing qui a abouti à des enquêtes et condamnations. Depuis, la situation s'est améliorée.
Si on compare les deux pays qui sont à peu près équivalents, on constate de profondes différences. Par exemple, le coût des génériques est 30% plus élevé en France qu'en Italie. Autre exemple : le Glivec®, du laboratoire Novartis, utilisé pour soigner certaines leucémies coûte 501 euros la boîte en Italie contre 2.300 euros en France.
Un appel qui dénonce le pantouflage
Certaines personnalités ont d'abord eu des responsabilités dans la politique de santé et ont ensuite entretenu des liens avec l'industrie pharmaceutique. Et selon les personnes qui lancent cet appel, la gangrène de notre système de santé, c'est ce qu'on appelle familièrement le pantouflage. Lorsqu'un haut fonctionnaire (polytechnique ou de l'ENA) décide d'aller travailler dans le privé, on parle de pantouflage. Ce terme est très employé dans le milieu politique. Et cela peut poser des problèmes éthiques et déontologiques liés au mélange des sphères publiques et privées. Il s'agit d'une méthode de lobbying et d'influence. Certaines grandes entreprises sont à l'affût de ces hauts fonctionnaires qui quittent le public, voire ils les débauchent.
Ces dernières années, l'exemple le plus marquant de pantouflage dans le domaine de la santé est celui de Philippe Lamoureux. Diplômé de l'ENA en 1989, il devient conseiller au cabinet de Bernard Kouchner en 1992, il va faire un passage par l'Agence du médicament, puis retour dans les cabinets du ministère de la Santé avant de devenir directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé en 2002. Il est à l'origine du fameux "Manger bouger". Le 15 novembre 2008, il passe dans le privé et devient directeur général du Leem (syndicat des laboratoires pharmaceutiques). C'est ce qu'on appelle un mélange des genres. Lamoureux passe dans le privé avec ses armes : un carnet d'adresses et ses connaissances sur le comment et le pourquoi des politiques publiques.
Le plus célèbre pantouflage reste Jérome Cahuzac. En 91, il devient conseiller au cabinet de Claude Evin alors ministre de la Santé. Après son passage au ministère, il crée "Cahuzac conseil" en toute légalité. La rentabilité est au rendez-vous affichant 385.000 euros de chiffre d'affaires, principalement avec des laboratoires pharmaceutiques. En politique aussi, le pantouflage existe. Henri Nallet, ancien ministre de l'Agriculture et ensuite ministre de la Justice entre 90 et 92, est ensuite devenu lobbyiste pour les labos Servier. Et quand un ministre devient lobbyiste, on peut se poser des questions.
Des personnalités qui utilisent leur influence
Avoir un carnet d'adresses n'est pas interdit. C'est toute l'ambiguïté de cette valse des hauts fonctionnaires ou des politiques. D'ailleurs, ils n'ont pas vocation à faire toute leur carrière dans le public. Mais le manque de transparence en France de certaines décisions en matière de santé entretient un climat de suspicion.
Les règles sont quasi inexistantes. Il existe une commission de déontologie instituée au milieu des années 1990 pour les hauts fonctionnaires. Elle doit notamment apprécier "la compatibilité" entre ses fonctions dans le public et son futur emploi dans le privé. Il ne peut pas aller dans une entreprise qu'il a contrôlée. Et depuis 2009, l'administration a l'obligation de saisir la commission de déontologie lorsque le haut fonctionnaire est issu d'un cabinet ministériel. C'est un progrès mais les sanctions n'existent pas vraiment, il s'agit d'un rappel à l'ordre. En dehors de ces deux cas, la saisie de cette commission est facultative. Aujourd'hui, le gouvernement espère renforcer les prérogatives de la commission de déontologie pour qu'elle puisse s'autosaisir. Cela fait un an et demi qu'on attend le vote de la loi qui est prête.