Lobbies de la santé : tout se joue au niveau européen

Le lobbying ne s'exerce pas seulement au Palais Bourbon, à l'Elysée ou au ministère de la Santé. Il s'exerce aussi au Parlement européen, à la Commission européenne ou encore à l'Agence européenne du médicament. On dénombre plus de 20.000 lobbyistes à Bruxelles. Parmi eux, les firmes pharmaceutiques sont les plus actives. Et pour cause lorsqu'une directive est adoptée, elle s'applique aux 27 pays. Influencer des lois à Bruxelles peut donc rapporter gros.  Les explications avec Rudy Bancquart.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Chronique de Rudy Bancquart, du 18 novembre 2014
Chronique de Rudy Bancquart, du 18 novembre 2014

Les firmes jouissent d'une oreille attentive auprès des autorités européennes ; pour preuve la directive-cadre de 1965, relative aux spécificités pharmaceutiques. Elle précise que toute réglementation relative au médicament doit "avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique" mais que ce but "doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l'industrie pharmaceutique".

Un nouveau règlement sur les essais cliniques

Ces deux dernières années, les lobbies se sont illustrés concernant le nouveau règlement sur les essais cliniques. Ces essais sont essentiels pour la mise au point de nouveaux médicaments. Le principe d'un règlement, c'est qu'il s'applique tel quel dans tous les pays de l'Union, contrairement à une directive qui est transposée dans le droit du pays.

Ce nouveau règlement présenté en juillet 2012 définit par exemple le nouveau rôle des comités d'éthique. Sans leur approbation, les essais cliniques ne pourront être menés. Mais il y a un point de crispation. Il concerne l'amendement 30 et le volet sur la transparence des données. Le texte initial prévoit, notamment, l'accès public aux données de tous les essais figurant dans le dossier de demande d'autorisation d'un médicament (AMM) par un industriel. Etonnant, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Glenis Willmott, rapporteur de ce dossier au Parlement européen et du Conseil relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain, déclarait d'ailleurs : "Actuellement, seulement la moitié des essais cliniques sont publiés et des résultats positifs (favorables au médicament) ont plus de chance de l'être que des résultats négatifs".

Un nouveau règlement qui n'a pas fait l'unanimité

Ce nouveau règlement a été soutenu par le lobby des associations de patients. En revanche fin novembre 2013, les laboratoires pharmaceutiques se sont opposés à ce volet sur la transparence avec un argument : "la propriété intellectuelle". Les données des essais cliniques relèveraient selon eux du secret des "affaires et de la confidentialité commerciale".

Les firmes américaines ont même demandé au gouvernement américain de réagir face à la politique de l'Union européenne dans le cadre des accords commerciaux de libre échange. Pour enfoncer le clou et mettre un peu plus la pression, deux firmes américaines ont porté plainte contre l'Agence européenne du médicament. Parmi elles, AbbVie, qui souhaitait empêcher l'agence de divulguer des données détaillées sur les effets observés chez les patients dans le cadre des essais cliniques réalisés pour son médicament Humira contre l'arthrite rhumatoïde.

Mi-mai 2014, malgré le soutien de l'ensemble des ministres de la Santé européens, l'Agence européenne du médicament recule. Elle prévoit une procédure permettant aux firmes de censurer les rapports d'étude clinique avant leur mise en ligne et diverses restrictions rendant selon la revue Prescrire les rapports d'études inexploitables à des fins d'analyse ou de recherche. Par exemple, aucun rapport ne serait téléchargeable. Difficile donc de recouper des données et clairement certains craignent qu'on puisse dissimuler des informations primordiales à propos d'un nouveau médicament.

L'industrie pharmaceutique perd la bataille

Mi-juin 2014, face a la mobilisation des organisations de la société civile, du lobby des associations et de la rapporteuse de ce projet, Glenis Willmot, qui a essuyé une campagne très critique par l'industrie pharmaceutique pendant toute cette période, l'Agence européenne a finalement annoncé que les chercheurs auraient accès à toutes les données et seraient autorisés à télécharger les fichiers, mais pas le public. Une victoire à l'arrachée. Le texte doit entrer en vigueur en novembre 2016. C'est une avancée.

Les dernières élections ont bien failli changer l'organisation de la santé au sein de l'Union européenne. En octobre 2014, Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission européenne a essayé de rattacher l'Agence européenne du médicament à la direction générale des entreprises et de l'industrie. Le but : rendre l'industrie pharmaceutique européenne plus compétitive face à la concurrence asiatique. On peut donc supposer que les lobbies du médicament n'y sont pas pour rien. Un changement qui a provoqué une levée de boucliers, car les médicaments ne sont pas un produit comme les autres. Jean-Claude Juncker a été obligé de faire machine arrière. Rien n'est jamais acquis.

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