Quand les lobbies du sucre pèsent sur la santé dentaire
Dans les années 1960, l'industrie sucrière américaine, dont Coca-Cola®, a détourné les programmes de recherche nationaux de lutte contre les caries. Les lobbies ont ainsi activement soutenu des recherches alternatives, afin d'éviter tout soupçon sur la dangerosité du sucre. Pendant des années, les intérêts commerciaux ont primé sur la santé dentaire des Américains.
L'histoire se répète étrangement. Après le lobby du tabac, c'est à celui du sucre d'influencer les recherches publiques pour préserver ses intérêts financiers. Dans les années 1960, le lobby sucrier a détourné volontairement les programmes de recherches, dans le but de camoufler le rôle des produits sucrés sur le développement de caries. Pour arriver à de telles révélations, des chercheurs, dont les travaux sont publiés dans la revue américaine PLOS Medicine, ont analysé 319 documents internes de l'industrie sucrière datant de 1959 à 1971 et provenant d'archives publiques. Ils ont également épluché celles de l'Institut National Américain de la Recherche Dentaire (NIDR), responsable des programmes de recherche dans la lutte contre les caries.
"L'industrie du sucre a utilisé des tactiques pour protéger ses ventes" explique l'étude. Elle a délibérément influencé le programme de recherche contre les caries du NIDR, lancé en 1966. Pour ce faire, les compagnies sucrières ont financé des recherches pour tenter de développer des enzymes capables d'éliminer la plaque dentaire, ainsi qu'un vaccin contre les bactéries responsables des caries. Autant d'initiatives menées pour relayer au second plan de possibles recherches sur la dangerosité du sucre. Le tout alors même que l'industrie savait pertinemment que le sucre était le principal responsable de caries dentaires, "même avant les années 1950" ajoutent les chercheurs de l'Université de San Francisco.
Quand les industriels détournent la science du vrai problème
Trente compagnies internationales composent le lobby sucrier incriminé, dont Coca-Cola®. Selon les chercheurs, 78% des volontés de ces industriels ont été intégrées dans le programme de recherche de NIDR. Les deux protagonistes avaient même "aligné leurs agendas"… En 1967, par exemple, l'industrie du chocolat et de la confiserie a financé la création d'un laboratoire pour que des scientifiques testent sur des singes un vaccin contre les bactéries responsables de la plaque dentaire. Toujours au détriment des recherches sur le sucre.
Deux ans plus tard, sans raison apparente, le NIDR a même jugé que la réduction de la consommation de sucre était "irréalisable". Ce n'est qu'en 1977 que l'Institut a finalement envisagé la possibilité d'évaluer le rôle de l'alimentation sur le développement de caries.
Une prise de conscience face aux lobbies
Pour les chercheurs, il faut redoubler de vigilance face aux conflits d'intérêts. "Nos révélations sur le lobby du sucre devraient alarmer les responsables gouvernementaux chargés de protéger la santé publique ainsi que les associations de défense des consommateurs pour comprendre que l'industrie sucrière, comme celle du tabac, cherche avant tout à préserver ses intérêts" souligne Stanton Glantz, un des auteurs de l'étude.
En faisant passer les intérêts industriels avant les intérêts sanitaires publics, le lobby du sucre a fait perdre de précieuses années à la santé dentaire. Cristin Kearns, qui a découvert les archives à l'origine de l'étude, ajoute qu'il était "décevant d'apprendre que les problèmes dont nous débattons encore aujourd'hui auraient pu être résolus il y a plus de quarante ans".
Source : Sugar Industry Influence on the Scientific Agenda of the National Institute of Dental Research's 1971 National Caries Program: A Historical Analysis of Internal Documents. C. Kearns, S. Glantz, L. Schmidt. PLOS Medecine 10 mars 2015 DOI: 10.1371/journal.pmed.1001798
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