Ordre des Médecins : les révélations dérangeantes du Canard Enchaîné
Défaut de protection des victimes d'abus sexuels, conflits d'intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques... Le journal satyrique aurait eu accès à un document provisoire de la Cour des Comptes sur le Conseil National de l'Ordre des Médecins qui contiendrait plusieurs graves accusations.
Aucune sanction malgré des signalements d'abus sexuels. Ce serait l'une des défaillances du Conseil National de l'Ordre des Médecins pointées par la Cour des Comptes dans son pré-rapport auquel aurait eu accès le Canard Enchaîné. L'instance de contrôle publique signalerait "de nombreux cas où des médecins ayant fait l'objet de doléances, de signalements ou de plaintes (conciliées ou retirées par les plaignants), condamnés au pénal ou placés sous contrôle judiciaire pour des faits en lien avec leur exercice n'ont fait l'objet d'aucune poursuite disciplinaire".
Et le journal satyrique d'évoquer le cas d'un endocrinologue visé en juillet 2014 par une première plainte pour abus sexuel. En novembre 2015, il est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de pratiquer... la gynécologie. Le signalement envoyé le 11 juin 2014 au CNOM par un chef de service de la région n'a été enregistré par le Conseil de l'Ordre que le... 7 décembre 2015. Il répertoriait pourtant les témoignages de cinq patientes assurant avoir subi des attouchements. Etrangement constate la Cour "aucune suite n'est donnée".
Des conflits d'intérêts passés sous silence ?
Parmi les autres dossiers sensibles qui seraient évoqués dans le document : les conflits d'intérêts des médecins, encadrés par la loi du 29 décembre 2011. La cour constaterait avec surprise qu'"aucun médecin n'a été convoqué par le Conseil national et aucune poursuite disciplinaire n'a été engagée". Pourtant, poursuit le Canard Enchaîné, l'instance ordinale disposerait d'un logiciel enregistrant toutes les "conventions" entre les producteurs et les prescripteurs de médicaments. Soit 1,5 million de contrats en 2017 correspondant à 200 millions d'euros encaissés par les médecins.
L'exemple d'un pneumologue ayant beaucoup voyagé est même cité par nos confrères du Canard : "Les Bahamas, Hawaï, Palm Beach, l'Ile Maurice, Bangkok, (il...) a pas mal bourlingué entre février 2016 et septembre 2018 à l'occasion de onze congrès internationaux, (...) des séjours financés par les labos à hauteur de 27.500 euros et préalablement approuvés par le CNOM avec cette remarque insolite : "l'absence de programme ne permet pas de vérifier si la quantité de nuitées et de repas pris en charge est justifiée".
La Cour prise de court
La Cour des comptes ne dément pas les remarques reprises par l'article mais déplore cette publication par Le Canard Enchaîné "d'observations provisoires, de nature confidentielle". Ce constat devait encore être soumis au Conseil national de l'Ordre des médecins dans le cadre de la phase contradictoire qui précède la conclusion des rapports. "Toute divulgation d'observations non définitives nuit à la procédure (...) et à la bonne information des citoyens", selon la Cour des comptes.
L'Ordre réplique dans un communiqué
Quant au Conseil National de l'Ordre des Médecins, il exprime dans un communiqué son "vif étonnement" devant la transmission de ce document à la presse. Mais apporte néanmoins des éléments de réponses aux accusations de l'article. Selon lui, le manque de sanctions face aux suspicions d'abus sexuels viendrait notamment d'une défaillance des structures judiciaires.
L'instance "déplore, et demande à nouveau que les procureurs informent systématiquement l'Ordre pour qu'il puisse saisir systématiquement les juridictions disciplinaires, quand bien même les faits reprochés aux médecins seraient commis dans un cadre privé". Mais n'est pas éludé le fait que "tous les échelons qui le composent doivent améliorer leur accueil des personnes qui se disent victimes, l'écoute qui leur est due et l'action devant les chambres disciplinaires".
En ce qui concerne les liens avec l'industrie pharmaceutique, l'Ordre déclare qu'il serait encore freiné dans ses efforts "en faveur d'une transparence totale des relations entre les médecins et les industriels" par un environnement défavorable. Il aurait ainsi "alerté le gouvernement à plusieurs reprises sur la nécessité de publier le décret d'application (toujours pas publié ndlr) permettant d'assurer le contrôle de toutes les déclarations de liens d'intérêts entre le corps médical et l'industrie de la santé (...) Les suspicions actuelles de conflits d'intérêts de certains praticiens auraient pu être évitées si nos recommandations avaient été entendues".