Stealthing : que dit la loi française face au retrait du préservatif sans consentement ?

De plus en plus de pays commencent à pénaliser le "stealthing", cette pratique qui consiste à retirer le préservatif sans le consentement de sa ou de son partenaire.

Mathis Thomas
Mathis Thomas
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En Espagne, en Suisse, au Canada ou en Allemagne, la pratique du "stealthing" est désormais sanctionnée juridiquement
En Espagne, en Suisse, au Canada ou en Allemagne, la pratique du "stealthing" est désormais sanctionnée juridiquement  —  Shutterstock

Quatre ans et trois mois de prison ferme. Jeudi 13 juin, Guy Mukendi, 39 ans et originaire de Brixton, dans le sud de Londres, a été condamné à une peine inédite pour viol, rapporte la BBC. Inédite car, pour la première fois outre-Manche, un homme a été incriminé pour des faits de "stealthing", ou "furetage" en français, ayant eu lieu en mai 2023, à une peine aussi lourde.

Cette "pratique sexuelle", qui consiste à retirer son préservatif en plein acte sexuel et à l'insu de son ou sa partenaire, est de plus en plus répandue, malgré ses conséquences immenses pour les victimes.

Une femme sur trois déjà concernée

L’homme était accusé de "stealthing" par une jeune femme, qui a confirmé avoir consenti à une relation sexuelle, à condition d’utiliser un préservatif masculin. Durant l’acte, l’homme a pourtant décidé de ne pas respecter la décision de sa partenaire et de le retirer en plein milieu de leurs ébats. Après avoir nié dans un premier temps les accusations, Guy Mukendi a été trahi par les messages échangés a posteriori avec sa partenaire, où il s’excusait d’avoir "retiré le préservatif" au cours de leur relation sexuelle.

En 2019, une étude australienne publiée dans la revue PLOS One, rapportait qu'environ une femme sur trois avait déjà été victime de "stealthing". Ce phénomène touche également les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes : un sur cinq signale des faits similaires vécus durant un rapport sexuel.

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Le "stealthing", une pratique condamnée

Comment freiner l’essor de cette pratique en forte augmentation, notamment chez les 18-30 ans ? Récemment, la plus haute juridiction juridique en Espagne a classé comme crime le fait de ne pas porter de préservatif ou de le retirer sans le consentement de sa ou son partenaire. D’autres pays, comme la Suisse et le Canada, ou des États américains, comme la Californie, sanctionnent déjà la pratique du "stealthing" comme délit ou comme crime.  

Dans son rapport d'activité pour l'année 2022, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l'Europe soulignait que beaucoup de pays européens continuaient d'exiger l'usage de la violence ou de la contrainte pour caractériser une infraction sexuelle. Selon les experts, le modèle du "seul oui veut dire oui" est pourtant mieux aligné à la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. 

Il "permet d’intégrer et de criminaliser les nouvelles tendances en matière d’actes sexuels, comme le retrait non-consensuel du préservatif pendant les rapports sexuels (« stealthing ») et les agressions sexuelles facilitées par la drogue", précise le groupe d'experts dans son rapport publié en 2023.

Certaines problématiques et subtilités juridiques subsistent néanmoins. Dans une chronique du droit pénal allemand publiée en 2023, Marie Nicolas-Gréciano, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université Lumière Lyon 2 pointait du doigt un paradoxe après la condamnation de la pratique par la Cour fédérale de justice allemande. "Cette solution consistant à distinguer deux types d'acte : le rapport sexuel avec préservatif (consentement), l'autre sans (non consenti et donc punissable) peut conduire à la situation étrange où l'individu mettant clandestinement un préservatif sera puni, alors que les partenaires s'étaient mis d'accord pour un rapport sexuel sans préservatif."

Quid du "stealthing" en France ?

Sur la question, comment se positionne la France ? Me Sara Bouakfa, avocate pénaliste à Marseille, interrogée par allodocteurs.fr, note qu'il n'y a "pas de référence à la pratique du stealthing dans la loi française" et "pas de jurisprudence récente de la Cour de cassation". Le "stealthing" peut-il donc avoir valeur de viol au regard de la loi française ? "Cela risque d'être difficile à plaider", indique l'avocate pénaliste, "car l'article 222-23 du code pénal ne fait pas référence directement au consentement pour qualifier des faits de viol." Cet article définit en effet le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise".

Cependant, Me Sara Bouakfa souligne que la notion de "surprise" dans l'article du code pénal pourrait s'appliquer au "furetage". "Dans le cadre des infractions sexuelles, la surprise signifie d'utiliser un stratagème pour tromper le consentement", explique-t-elle. "La notion de surprise est utilisée lorsque une personne ne donne pas son consentement en pleine connaissance de cause, notamment dans des cas où la victime est endormie ou sous l'influence de l'alcool ou de drogue." 

Qu'est-ce qu'un viol avec surprise ?

"Dans ces situations, la victime n'aurait jamais accepté d'avoir une relation sexuelle, même avec une ou un partenaire habituel : on rentre dans le cadre du viol avec surprise." L'avocate pénaliste cite également la pratique du viol conjugal par surprise, où seul le rapport vaginal était consenti, mais où une pénétration anale a été effectuée sans l'accord de la victime. Retirer le préservatif au cours du rapport, sans le consentement de sa ou son partenaire, même si la relation sexuelle est à l'origine consentie, peut donc s'apparenter à ce genre d'infraction sexuelle.

Reste encore aux avocats à pouvoir plaider le viol avec surprise. "La question des preuves dans ces cas d'infractions sexuelles est encore prégnante", déplore Me Bouakfa. "Quand la victime va porter plainte, elle doit pouvoir prouver que l'utilisation du préservatif, par exemple, était une condition sine qua non au rapport. Une condition sans laquelle la victime n’aurait pas accepté la relation sexuelle."

Or, dans ce genre de situations, les preuves écrites ou enregistrées sont rares. Et la défense des victimes d'autant plus compliquée à assurer. Face à la démocratisation affligeante du "stealthing", peu de doute que la loi française s'appliquera bientôt à cadrer juridiquement la condamnation de cette pratique.

Viol conjugal : « la culpabilité est au premier plan»  —  Le Mag de la Santé - France 5