Essai thérapeutique à Rennes : le médicament en question
"C'est dramatique pour les patients et pour la recherche médicale". L'essai thérapeutique qui a provoqué la mort d'un volontaire sain au CHU de Rennes, et des troubles neurologiques plus ou moins graves sur quatre autres personnes, portait sur une molécule censée soulager les douleurs et l'anxiété. C'est la première fois que cette molécule, qui agit sur le système endocannabinoïde, est testée sur l'homme. Retour sur l'objectif de cet essai thérapeutique avec le Pr Serge Perrot, rhumatologue à l'hôpital Cochin de Paris.
- Contrairement à ce qui avait été dit au départ, la molécule ne contient pas de cannabis. Elle a pour objectif d'augmenter le taux de "cannabinoïdes endogènes", ce sont des substances naturelles produites par le corps humain pour lutter contre la douleur et l'anxiété. De quoi s'agit-il exactement ?
Pr Serge Perrot : "Dans le corps humain, il y a un certain nombre de récepteurs pour modifier les comportements et pour permettre de transmettre le signal de différents systèmes comme la douleur et la motricité. Les cannabinoïdes endogènes sont des récepteurs qui sont présents un peu partout, à la fois dans le cerveau et en périphérie.
"Certaines substances vont agir sur ces récepteurs, notamment le cannabis, c'est pour cela qu'on dit qu'il s’agit de substances cannabinoïdes, mais il ne s'agit absolument pas de cannabis.
"Ce sont des substances synthétiques qui vont mimer et agir sur ces récepteurs dans le cerveau et en périphérie. Les agonistes de ces récepteurs vont être testés dans la douleur mais aussi pour d’autres maladies notamment les maladies neuro-dégénératives."
- Est-ce que vous êtes surpris qu’un tel accident survienne sur ce type précis de molécule ?
Pr Serge Perrot : "Je suis surpris qu'un accident survienne notamment à ce stade-là. C'est un événement dramatique assez exceptionnel. On est plutôt surpris dans les phases ultérieures notamment en phase 2 et phase 3.
"Chez l’animal, beaucoup de médicaments fonctionnent notamment sur les récepteurs dans le système nerveux, mais ce n’est pas le cas chez l’homme. A l’heure actuelle, il y a deux domaines en recherche médicale où les succès sont faibles : la douleur et la maladie d’Alzheimer. Car le cerveau est un organe extrêmement complexe et beaucoup de médicaments qui ont été efficaces chez l’animal n’ont pas confirmé leurs effets chez l’homme. C’est vraisemblablement le type de produit qui a été testé à Rennes."
- Cet accident grave va-t-il mettre un coup d'arrêt aux recherches sur la douleur alors que ces molécules restent prometteuses ?
Pr Serge Perrot : "C'est vrai que pour les patients c’est dramatique. Il y a très peu de médicaments dans le domaine de la douleur et vous savez qu’on ne travaille qu’à partir d’anciens médicaments : l'aspirine, les anti-inflammatoires, la morphine.
"On a beaucoup de mal à trouver des nouveaux médicaments avec de nouveaux modes d’action. C’est aussi dramatique pour la recherche puisque quand un événement comme celui-ci survient, ça fait peur à de nombreux patients qu’ils soient volontaires ou malades pour participer à la recherche médicale."
- Vous parlez de la recherche chez l'homme et chez l'animal. Dans le cas des essais thérapeutiques de Rennes, il y avait eu des tests sur l'animal avant de passer à l'homme. Pourquoi rien n'a été détecté avant ?
Pr Serge Perrot : "Si on partage beaucoup de capital génétique avec le rat ou d’autres animaux, on est quand même différent, la pharmacologie est différente, les doses sont différentes donc on a souvent des surprises. C'est notamment le cas dans le domaine de la douleur. Mais cela reste rare d'avoir des effets toxiques aussi graves qui n'ont pas été détectés chez l’animal auparavant."